Page:Bourdon - En écoutant Tolstoï.djvu/47

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maussade, lourdement suspendu au-dessus du sol qu’il prolonge. Ni un arbre, ni une maison, ni un visage humain, ni une forme de bête ne rompt la déprimante monotonie de la neige. L’horizon est court, mais la plaine semble infinie. J’ai l’impression d’être un explorateur qui reconnaît une « terra incognita » des géographies de ma jeunesse. Le chemin est rude, affreux, cahoteux, à peine indiqué par un sillage de traîneau. Sous sa blancheur vierge, à des dépressions soudaines, on devine le sol raviné, défoncé, crevé. Un commencement de dégel a, par endroits, affaissé la neige, y creusant des trous parfois profonds d’un mètre, et le traîneau va lentement, biaisant pour franchir ces abîmes, risquant à toute minute de rester en détresse au fond de l’un d’eux. Mais mon izvochtchik tient bien en main ses deux chevaux ; il est prudent et sagace ; c’est un pauvre homme qui boîte affreusement, d’une jambe démolie ; il a une figure douce, un petit duvet sous son menton rose, de grands cheveux blonds qui s’envolent sous son gros bonnet de peau de mouton ; à toute minute, il se