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le mystérieux monsieur de l’aigle

pagnon. Pourtant c’était un Séverin tout changé ; sa belle humeur semblait s’être enfuie et il était distrait, inquiet et nerveux. La première question qu’il posa, ce fut :

M. de L’Aigle est-il de retour à L’Aire, M. Lassève ?

— Mais, oui, Séverin ! M. de L’Aigle est de retour depuis une dizaine de jours au moins. Je les ai vus, hier ; lui et Magdalena, je veux dire. Ils sont venus ici, avec la petite. Ils étaient superbes de santé et de bonne humeur, tous trois.

— Ah ! Tant mieux ! s’était écrié Séverin. Tout bas, il avait murmuré : « Pauvre Magdalena ! Que Dieu la garde, la chère enfant ! Ô ciel ! Si elle se doutait de… de… ce que j’ai découvert, durant mon voyage, elle en mourrait, oui, elle en mourrait, pour sûr ! »

Qu’avait donc Séverin Rocques ? Quelle découverte avait-il faite ?

III

INEXPLICABLE ATTITUDE DE SÉVERIN

Quelques jours après le retour de Séverin, Claude et Magdalena vinrent à La Hutte.

— Ah ! Séverin ! s’écria Magdalena en apercevant le brave garçon. Y a-t-il longtemps que vous êtes de retour ?

— Depuis quelques jours seulement, Magdalena, répondit-il. Claudette ?

— Nous ne l’avons pas emmenée, parce qu’elle dormait, au moment où nous nous disposions à partir, dit la jeune femme.

— Vous avez fait un bon voyage, M. Rocques ? questionna Claude.

— Merci, M. de L’Aigle, j’ai fait un excellent voyage, répondit Séverin d’un ton froid qui les surprit tous, surtout Magdalena.

Il ne vit pas, probablement, la main que Claude lui tendait, parce qu’il était à offrir une chaise à Magdalena.

— Vous vous êtes rendu jusqu’à Montréal, Séverin ? Ceci de Magdalena.

— Oui, je me suis rendu jusqu’à Montréal, dit-il, en jetant sur Claude de L’Aigle un regard que Magdalena surprit en passant et dont elle ne comprit pas du tout la signification.

— Qu’a donc Séverin ? se demanda-t-elle. Il n’est certainement pas comme d’habitude… On dirait que son voyage lui a laissé de pénibles impressions… Et puis, est-ce qu’il n’aimerait pas Claude ? Je n’avais jamais remarqué ce dernier fait avant aujourd’hui ; mais, assurément, il a l’air d’en vouloir à mon mari pour quelque chose… Qu’est-ce ? Claude l’aurait-il offensé… sans le vouloir ? Car, il n’offenserait personne volontairement mon cher mari !

Les de L’Aigle furent une heure à peu près à La Hutte. Magdalena était parvenue à échanger quelques mots avec Zenon Lassève, à propos de Séverin :

— Il y a quelque chose qui le tracasse, c’est certain, avait-elle dit. Il me semble qu’il n’est plus le même.

— Il est ainsi, depuis son retour de voyage, répondit Zenon ; mais, tu le penses bien, ma fille, je ne l’ai pas questionné.

— On dirait que Séverin en veut à Claude, oncle Zenon, fit la jeune femme, dont les yeux se remplirent de larmes.

— En vouloir à Claude ! À ton mari ! Allons donc ! Ma pauvre enfant, tu sais bien que c’est impossible ! Pourquoi lui en voudrait-il d’ailleurs, je te le demande ?

— Dans tous les cas, si Séverin a des ennuis, j’en suis fort peinée… Il paraît avoir perdu sa belle gaité… d’avant son voyage.

Après le départ de leurs visiteurs, Séverin dit à Zenon :

— Magdalena paraît être très heureuse, n’est-ce pas.

— Je crois bien qu’elle est la femme la plus heureuse du monde, répondit Zenon en souriant. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ? Son mari la comble de prévenances et de bontés.

— Elle n’a que ce qu’elle mérite, en fin de compte, fit Séverin. Puisse-t-elle être heureuse toujours la chère enfant !

— Savez-vous, mon ami, dit Zenon en riant d’un bon cœur, Magdalena s’imagine des choses et…

— Elle s’imagine des choses, dites-vous, M. Lassève ? Quelles choses ?

— Pour commencer, elle est inquiète à votre sujet, Séverin.

— À mon sujet ? À moi ? Comment donc cela ?

— Elle m’a dit que vous paraissiez soucieux, ennuyé, à propos de quelque chose… Elle a même ajouté… Ah ! mais, c’est si ridicule que je ne le répéterai pas, je crois.

— Il faut me le répéter, au contraire, M. Lassève, dit Séverin en souriant. Car les remarques que Magdalena auraient pu passer sur son compte ne devaient avoir rien de bien préjudiciables à son caractère, à lui Séverin.

— Puisque vous tenez à ce que je vous répète ses paroles, les voici : « Je crois qu’il y a quelque chose qui tracasse Séverin… et puis, on dirait qu’il en veut à Claude ». Ha ha ha ! rit Zenon ; que Séverin en voulut à M. de L’Aigle, cela lui semblait être du plus grand comique.

— Magdalena a dit cela ? balbutia Séverin.

— Eh ! oui ! s’écria Zenon, riant de plus belle. On n’en veut pas aux gens qui ne nous ont rien fait, n’est-ce pas, et M. de L’Aigle…

— Ne m’a rien fait pour que je lui en veuille. Au contraire ; il a toujours été d’une parfaite amabilité envers moi.

— Donc, Magdalena se trompe.

— C’est incontestable.

Plusieurs fois, durant les semaines qui suivirent, Zenon se rendit à L’Aire… seul ; Séverin avait toujours quelque raison pour l’empêcher de l’accompagner. Magdalena ne fut pas sans remarquer l’absence du brave garçon et, quoiqu’elle n’en dit rien, cela lui faisait de la peine.

Vers le milieu d’août, Zenon revint à La Hutte, après en avoir été absent deux jours, et il était évident que quelque chose le peinait beaucoup. Séverin le questionna immédiatement :