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le mystérieux monsieur de l’aigle

de, les lèvres blanches comme de la cire. M. Rocques, je…

— Ah ! Taisez-vous, M. de L’Aigle ! Je le sais… Ce qu’il y a d’étrange, c’est que vous ayez pu garder votre… secret, si longtemps ; que d’autres ne vous aient pas découvert encore… Magdalena, la pauvre petite !… Si elle soupçonnait seulement ce que je sais, elle en mourrait.

M. Lassève ? questionna Claude. Il sait, lui aussi, sans doute ? Vous vous êtes empressé de le mettre au courant probablement, M. Rocques ?

— Pour qui me prenez-vous, M. de L’Aigle ? s’écria Séverin, fort en colère. Je me suis bien gardé de faire part de mes découvertes au père adoptif de votre femme ; ce que je sais, je le garde pour moi seul et je prie Dieu que le hasard ne fasse jamais que Magdalena découvre qui… quel homme elle a épousé !

— Nous prions Dieu pour la même chose, M. Rocques, fit Claude avec un sourire qui déplut fort à son interlocuteur.

— Monsieur, s’exclama Séverin, rouge de colère, vous êtes M. de L’Aigle, le riche rentier, le presque millionnaire, dont plus d’un envie le sort… Moi, je ne suis qu’un humble et pauvre villageois… Mais, tonnerre ! Je ne changerais pas de place avec vous pour tous les biens de la terre !

— Ne prenez-vous pas la chose un peu trop au tragique, M. Rocques ? dit Claude, avec un sourire sarcastique. Après tout, si vous considériez les choses plus froidement…

Séverin haussa dédaigneusement les épaules, puis il répondit :

— Je ne suis pas de votre trempe, M. de L’Aigle et ne puis considérer les choses sous un aspect moins tragique… Tragique !… Ça ne saurait l’être plus, selon moi… Dans tous les cas, ne craignez pas que je dévoile ce que je sais à qui que ce soit au monde, de peur que ça arrive aux oreilles de Magdalena un jour… C’est à elle que je pense… et à la mignonne Claudette… Quel avenir pour cette enfant, si l’on apprenait ce que j’ai découvert !…

— Je vous remercie, M. Rocques, fit Claude ; je me fie à votre discrétion ; j’ai votre parole, et j’y compte.

— Adieu, Monsieur, répondit seulement Séverin. Puis, rassemblant ses outils, il quitta précipitamment la Villa Magda.

IV

MADAME D’ARTOIS EST INTRIGUÉE

Un soir du mois de novembre, Claude de L’Aigle reçut une autre de ces enveloppes longues et étroites, dont le contenu le faisait toujours frémir et qui avaient le don d’intriguer extrêmement Mme d’Artois. Cette dernière avait jeté les yeux sur Magdalena, en apercevant l’enveloppe, mais la jeune femme était à examiner un catalogue ; elle ne vit donc pas son mari jeter dans les flammes du foyer l’enveloppe en question, contenant et contenu, après avoir lu les quelques lignes qu’elle renfermait.

Ce ne fut que vers la fin de la veillée que Claude dit à sa femme :

— Je vais être obligé de partir pour Montréal, Magdalena.

— Vraiment, Claude ? Alors, je vais t’accompagner, cette fois. Tu le sais, la maladie de Claudette a retardé mon voyage, et j’ai beaucoup d’achats à faire, en vue des « fêtes ».

— Mais, Magdalena… commença Claude.

— Je serai prête à temps, ne crains rien, reprit-elle en souriant.

— Ma chérie, dit-il, c’est mal choisir ton temps pour voyager. Je vais être obligé d’assister aux assemblées et conférences du Club Astronomique et tu seras seule à l’hôtel. De plus, tu ne pourrais courir, seule, les magasins, n’est-ce pas ?… Attends plutôt, Magdalena ; dans la première semaine de décembre, ainsi qu’il avait été convenu entre nous, nous irons à Montréal tous deux et y passerons tout le temps que tu voudras.

— Pourquoi faire deux voyages quand un suffit, mon Claude ? demanda-t-elle. Quant à rester seule à l’hôtel ou à courir seule les magasins, il y a un moyen de remédier à cela ; nous emmènerons Mme d’Artois avec nous.

— Je préférerais de beaucoup que tu attendes à plus tard, balbutia Claude, et Mme d’Artois remarqua qu’il avait l’air d’être très ennuyé, ou très découragé, de la persistance de sa femme.

— Claude, demanda cette dernière soudain, tandis que son visage exprimait le plus grand étonnement, est-ce que vraiment tu refuses de m’emmener avec toi à Montréal ?

— Refuser ? Ma pauvre enfant ! Peux-tu avoir de pareilles idées ! répondit-il avec un rire qui sonnait faux, du moins, aux oreilles de Mme d’Artois. Ce que j’en dis, reprit-il, c’est pour toi, afin que ton voyage soit agréable autant que possible… J’avais pensé, vois-tu, que nous aurions couru les magasins et théâtres ensemble, pendant notre séjour à Montréal.

— Alors, mon mari, répliqua Magdalena en riant, puisque tu n’as pas de raisons plus graves que cela à donner, j’y suis résolue, je t’accompagne, ou plutôt, nous t’accompagnons, Mme d’Artois et moi… Et, ça me fait penser ! Il faut que j’aille immédiatement parler à Rosine ; elle a préparé toute une liste de choses que je devrai acheter pour Claudette. Je ne serai pas longtemps !

Ce disant, elle quitta la bibliothèque, où venait d’avoir lieu la conversation ci-dessus.

Après le départ de Magdalena, Mme d’Artois parut très absorbée dans son tricot ; mais ses pensées allaient plus vite encore que ses aiguilles.

— Évidemment, se disait-elle, M. de L’Aigle ne veut pas que sa femme l’accompagne à Montréal. Magdalena ne s’en doute pas cependant, heureusement… heureusement… pour elle ; mais malheureusement pour son mari… M. de L’Aigle doit avoir de bien graves raisons pour préférer voyager seul, lui qui recherche avidement et toujours la compagnie de sa femme… C’est assez mystérieux, et combien je me défie de ce que je ne comprends pas !… Magdalena, la pauvre enfant…

Mme d’Artois, fit Claude, interrompant soudain les pensées de cette dame, ne pourriez-