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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Claudette pas dodo !

Ce qui a toujours pour effet de les faire rire tous d’un grand cœur. Pour le moment, l’enfant, installée sur l’épaule de son père, se fait promener de long en large et fait entendre de joyeux éclats de rire. Magdalena, assise près du foyer, regarde cette jolie scène familiale et sourit, émue. Mme d’Artois tricote, tout en souriant à sa petite filleule.

— Le courrier, M. Claude !

Ces paroles prononcées tout à coup par Eusèbe, eurent pour effet de faire sursauter Mme d’Artois et de faire froncer les sourcils à Claude de L’Aigle. Celui-ci déposa Claudette par terre, ce qui fit que l’enfant protesta hautement d’un tel traitement, d’un tel sans-gêne.

Une enveloppe longue et étroite fut saisie par Claude, et presto ! elle disparut comme par enchantement dans une des poches intérieures de son habit. Magdalena, occupée à consoler Claudette, ne s’était aperçue de rien. Mme d’Artois, par exemple, avait tout vu et elle ne put s’empêcher de soupirer.

Les autres lettres, n’avaient probablement pas grande importance, car Claude les déposa sur un guéridon et s’approchant de Magdalena, il lui enleva l’enfant et la mit de nouveau sur son épaule, reprenant ensuite sa promenade de long en large, au grand bonheur de la petite.

Un peu plus tard, profitant d’un moment où sa femme était allée dire bonsoir à Claudette, celle-ci ayant enfin consenti à se laisser mettre au lit par Rosine, Claude ouvrit l’enveloppe longue et étroite qu’il avait reçue des mains d’Eusèbe et en retira une lettre très courte, qu’il lut d’un trait. Chose étrange ; cette fois, au lieu de pâlir et de frémir, une expression de soulagement se répandit sur ses traits, puis il jeta la lettre au feu. Mme d’Artois ne fut donc pas grandement surprise de ne pas entendre Claude de L’Aigle annoncer, durant la veillée, son départ pour le lendemain. Non, la missive arrivée ce soir-là, contenait quelque chose qui causait plutôt de la joie à celui qui l’avait reçue.

Ce ne fut que deux semaines plus tard que Mme d’Artois eut, en quelque sorte le mot de l’énigme. Une autre enveloppe longue et étroite arriva, et Claude annonça, cette fois, qu’il partait le lendemain pour Montréal.

— Une assemblée très importante, Magdalena, ajouta-t-il. Mais j’ai quelque chose à t’annoncer à ce sujet ; quelque chose qui ne te déplaira pas, je crois : j’ai démissionné comme membre du Club Astronomique.

— Démissionné, Claude ? Pourquoi ? J’espère, mon mari, que tu ne t’es pas imaginé que j’avais des objections à ce que tu…

— Non, non, ma chérie ! Au contraire, je t’ai toujours trouvée on ne peut plus raisonnable. Si j’ai démissionné, c’est parce que ça commence à m’ennuyer ces voyages, à tout propos. Quand je voyagerai, dorénavant, je pourrai me faire accompagner de ma petite femme, ajouta-t-il en entourant Magdalena de ses bras.

— Ainsi, se disait la dame de compagnie, la lettre qu’il a reçue il y a quinze jours, c’était pour lui annoncer qu’il n’aurait plus à s’absenter… Ce « Club Astronomique » qui, j’en suis fermement convaincue, n’existe que dans l’imagination de M. de L’Aigle ; ce club, dis-je, ne lui servira plus de… de sommations… Le mystère qui enveloppe ces voyages restera donc un mystère ; mais, au moins, je ne tremblerai plus, de crainte que Magdalena ne découvre quelque chose qui pourrait la rendre malheureuse.

Au grand soulagement de Mme d’Artois, et à celui de Claude aussi sans doute, Magdalena ne parla pas d’accompagner son mari. L’état de sa santé laissait à désirer et elle était peu disposée à voyager.

Le lendemain après-midi, au moment de partir pour la Rivière-du-Loup, où Magdalena allait le reconduire en voiture, Claude paraissait soucieux et inquiet ; quelque chose le tracassait, le tracassait beaucoup, car il était très pâle et une expression de découragement se lisait sur son visage.

Mme d’Artois, parvint-il à dire tout bas à la dame de compagnie, alors qu’ils étaient seuls tous deux pour quelques instants, dans le corridor d’entrée, j’ai perdu un papier… une lettre très importante… Si vous la trouvez… C’est une enveloppe longue et étroite… Je ne comprends pas comment j’ai pu la perdre… S’il fallait que Magdalena mette la main dessus…

— Je chercherai cette lettre, M. de L’Aigle, répondit Mme d’Artois d’un ton qu’elle ne parvint pas à rendre froid, ni même indifférent, car Claude lui inspirait plutôt de la pitié, dans l’état d’énervement et d’inquiétude où il était. Oui, elle le plaignait cet homme, si bon, si parfait pour sa femme, en fin de compte… et puis, fier et hautain comme il l’était, comme il devait souffrir et comme devait lui répugner d’être obligé de se mettre à la merci de la compagne payée de sa femme ! Quelque chose disait à Mme d’Artois que la lettre perdue, ou plutôt égarée, si elle la trouvait, cette lettre dis-je, lui révélerait le secret de la vie de Claude de L’Aigle, et celui-ci le savait bien. Mais il était dans une impasse, dont il ne pouvait sortir sans l’aide d’une personne discrète et dévouée.

— Si vous trouvez la lettre, vous la mettrez en lieu sûr, n’est-ce pas, reprit Claude, et me la donnerez, à mon retour ?

— Certainement, M. de L’Aigle ! répondit-elle. Vous pouvez compter sur moi.

— Dieu veuille que ce soit vous qui la trouviez alors ! s’écria-t-il. Et qu’il vous bénisse pour votre bonté ! Rappelez-vous ; c’est pour Magdalena que je vous implore, pour son bonheur.

— Je comprends parfaitement, M. de L’Aigle, et je ferai l’impossible pour trouver cette lettre, murmura la dame de compagnie, au moment où Magdalena arrivait dans le corridor, habillée et prête à partir.

Comme elle la chercha cette lettre, cette pauvre Mme d’Artois ! Dans la chambre à coucher de Claude d’abord, dans celle de Magdalena, dans son boudoir, dans la bibliothèque, dans les salons, dans le corridor d’entrée, dans le fumoir, puis dans l’étude, aussitôt qu’Euphémie Cotonnier eut quitté cette pièce, un peu