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le mystérieux monsieur de l’aigle

y a quelque chose que je ne comprends pas, Magdalena…

— Qu’est-ce donc, petit père ?

— Ce traversin… dans le cercueil… Pourquoi est-il là ? Non, vraiment, je n’y comprends rien !

— Je vais vous expliquer la chose, alors… Mais, d’abord, dites-moi, cher, cher « père Zenon » ; vous m’aimez bien, n’est-ce pas ? demanda la jeune fille, câline.

— Si je t’aime ! Ô Magdalena ! Je n’aurais pu aimer une enfant à moi plus que je t’aime, je le sais !

— Alors… vous seriez disposé à faire beaucoup pour moi, pour mon bonheur à venir ?…

— Je me demande s’il y a quelque chose au monde que je ne serais prêt à faire pour toi… Pourrais-je te refuser quelque chose, ma chérie, à toi qui viens de… ressusciter, en quelque sorte, de la mort ?

— Eh ! bien ; écoutez ce que je vais vous proposer, « père Zenon »… Je vous l’ai dit tout à l’heure, il y va de mon bonheur… Voici : il faut que les funérailles de Magdalena Carlin aient réellement lieu, ce matin. Vous comprenez bien ce que je veux dire, n’est-ce pas ?

— Mais, non, ma fille, je ne comprends pas…

— Je veux disparaître, « père Zenon »… Je veux que Magdalena Carlin soit morte, pour tous… qu’elle soit enterrée, ce matin même, dans le cimetière de ce village… Moi, je m’en irai… loin, loin ; si loin, qu’on n’entendra plus jamais parler de moi… Je changerai de nom… Je…

— Impossible, Magdalena, impossible ! Sais-tu, ma pauvre enfant, ce que tu médites de faire, et dont tu veux me rendre complice ?… Ô ma petite, ce serait mal, si mal ! Et, de plus, une telle chose serait punissable par la loi, je crois, si jamais nous étions découverts.

— Découverts ? Mais, nous ne le serons jamais ! Je m’en irai…

— Tu t’en iras, dis-tu ? Seule, Magdalena ? Certes, non ! Jamais je ne consentirai à cela ! Si tu pars, je t’accompagne… Mais, inutile de…

— Écoutez, « père Zenon », écoutez, je vous en prie ! Si vous saviez tout ce que j’ai enduré d’insultes, dans ce village…

— Je sais ! Hélas, je le sais ! Cependant, renonce au projet que tu as formé, ma fille, car…

Magdalena leva soudain la main, comme pour imposer silence à son compagnon. Des pas s’approchaient de la maison…

— Quelqu’un vient ! murmura-t-elle. Il est trop tard maintenant ! Il n’y a plus à hésiter, petit père… Vite ! ajouta-t-elle. Remettons les visses au cercueil… Magdalena Carlin est morte… Qu’on enterre un cercueil vide ! Moi, je disparaîtrai, et vous m’y aiderez, je le sais ; même, vous m’accompagnerez là où j’irai, si vous le désirez. Vite, « père Zenon » ! Vite !

Magdalena courut vers le cercueil, et comme un automate, son père adoptif la suivit. En sa présence, elle remit les visses au couvercle, et il la laissait faire, sans proférer un mot ; mais son visage était blanc comme un mort.

— Courage, petit père ! fit-elle, en lui donnant un baiser.

— Nous avons tort, Magdalena ! balbutia le « père Zenon », bien tort !

— Ne quittez pas les abords du cercueil, lui recommanda-t-elle, et tout se passera bien, je le prédis… Moi, je monte dans ma chambre à coucher, dont je fermerai la porte à clef… Plus tard, dans le courant de la journée, nous ferons des projets, et, dans deux ou trois jours, Dieu aidant, nous aurons quitté G… pour toujours.

— Je t’avouerai, Magdalena, que j’ai presque peur, balbutia le « père Zenon ». Le risque affreux que nous courons…

— Ah ! fit Magdalena, en pleurant, j’ai tant souffert, dans ce village, tant ! Morte ; elle est morte, la « fille du pendu », à partir de ce moment… Mais, voilà le village qui s’éveille, reprit-elle ; on entend marcher, dehors et bientôt, les curieux voudront entrer ici… Je cours m’enfermer dans ma chambre… vous m’y retrouverez, après les… funérailles… Au revoir, cher bon « père Zenon » ! Au revoir, et… courage !

— Au revoir, ma fille, répondit-il, presque machinalement, Dieu te garde… et nous pardonne !

III

CI-GIT MAGDALENA CARLIN

Il y avait à peu près dix minutes que Magdalena était rendue dans sa chambre à coucher, dont elle avait eu la précaution de fermer la porte à clef, quand elle entendit des piétinements et des murmures de voix, dans la salle, en bas. Des gens curieux, peut-être sympathiques, étaient arrivés, dans l’espoir de revoir, une dernière fois, dans son cercueil, la « fille du pendu ». Mais, celle-ci savait que son père adoptif ferait bonne garde et qu’il inventerait une raison quelconque, pour refuser d’ouvrir le cercueil.

— Pauvre « père Zenon » ! se disait Magdalena. Que je le plains ! Oui, je le plains de tout mon cœur ! Par quelles transes, par quelles angoisses il va passer, d’ici à ce que le cercueil soit bien et dument enterré !… Mais, il le fallait ! Dieu veuille que tout se passe, sans accident ! Oh ! Combien il me tarde de voir revenir le « père Zenon » de l’église, du cimetière ! Alors seulement, je serai retirée d’inquiétude…

Il devait y avoir une assez grande quantité de gens, en bas, car les piétinements augmentaient, et les voix parvenaient jusqu’à la chambre où Magdalena s’était retirée.

Bientôt, les piétinements devinrent plus distincts… puis, des pas lents et pesants s’acheminèrent vers la porte d’entrée : on allait partir pour l’église.

Bien cachée, derrière des rideaux de mousseline épaisse, la jeune fille se hasarda à regarder par la fenêtre. Elle vit les gens se former en procession. Soudain, toutes les têtes se découvrirent, car venaient d’apparaître Jacques Lemil et son fils Pierre, portant le cercueil. L’église n’étant pas loin de la maison, le « père Zenon » n’avait pas jugé à propos