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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Certes ! s’exclama Magdalena. Pourquoi ce nom ?… L’aire, c’est…

— C’est le nid de l’aigle, acheva le jeune homme, et c’est pourquoi j’ai nommé mon domaine ainsi… C’est le nom qui lui convient, voyez-vous, car moi, je me nomme Claude de L’Aigle.

Fin de la deuxième partie.


Troisième Partie

LES ISOLÉS

I

À PROPOS DE MONSIEUR DE L’AIGLE

Magdalena était seule dans La Hutte. Elle cousait. Dans une pièce de serge brune, elle se confectionnait un nouveau costume masculin. Son costume gris du printemps dernier avait vu de meilleurs jours, et il était temps qu’elle renouvelât sa garde-robe, ou plutôt son trousseau.

Le silence régnait dans La Hutte, silence qu’interrompait, de temps en temps, le bruit de coups de marteau, venant du dehors ; Zenon Lassève était en frais de construire un assez grand bâtiment, du côté ouest de sa maison, car il était résolu, plus que jamais, de s’acheter un cheval et une cariole pour l’hiver, et il prenait ses mesures en conséquence.

— Sais-tu, Théo, avait-il dit à Magdalena, la veille, que nous avons accumulé près de quatre cents dollars, cet été, à faire la pêche et à conduire les excursionnistes aux Pélerins ?

— Quatre cents dollars ! C’est beaucoup, n’est-ce pas, mon oncle ?

— C’est plus que je n’avais espéré, je t’assure ! Nous pourrons garder un cheval, l’hiver prochain, avec cet argent, je crois.

— Tant mieux ! fit la jeune fille. Ce sera une agréable distraction que des promenades sur la belle neige blanche.

Mais, tout en piquant l’aiguille dans l’étoffe, cet après-midi où nous la retrouvons, Magdalena se livrait à ses pensées. Elle songeait à des événements tout récents : leur voyage au Portage, alors qu’ils s’étaient égarés dans la brume, son père adoptif et elle : l’accident arrivé à leur chaloupe ; puis leur sauvetage…

Et puis encore, leur… sauveteur… Elle voyait la haute taille de Claude de L’Aigle ; ses cheveux blonds, ses yeux bleus très foncés, sa moustache dorée… Elle ne l’avait pas revu, depuis… et peut-être… peut-être que cela l’attristait un peu, plus qu’on serait porté à le croire… plus qu’elle le croyait elle-même…

Quelle réception princière leur avait été faite, sur L’Aiglon ! M. de L’Aigle les avait reçus comme s’ils eussent été de vieilles connaissances. Il s’était montré plein d’égards pour eux… surtout pour Magdalena, qu’il appelait : « Théo, mon petit ami ».

Après le souper, il les avait conduits dans un minuscule salon, contenant un piano, et quelle belle veillée ils avaient passée tous trois, Magdalena, Zenon et M. de L’Aigle. M. de L’Aigle était bon pianiste ; de plus, il possédait une belle voix, et puis, il avait, à bord de L’Aiglon tout un répertoire d’opéra. Lui et la jeune fille chantèrent ensemble des extraits de Mignon, de Faust, des Cloches de Corneville, de Carmen, etc., etc. Minuit avait sonné depuis longtemps, lorsqu’ils songèrent à aller se reposer.

Claude de L’Aigle avait conduit Magdalena à la porte d’un vrai bijou de cabine et dit :

— Je vous cède ma cabine, Théo.

— Oh ! non ! avait répondu Magdalena. Je ne peux pas m’emparer de votre cabine ainsi, M. de L’Aigle ! Les banquettes…

— Les banquettes sont bonnes pour des hommes forts et vigoureux comme M. Lassève et moi, avait répondu le propriétaire du yacht en souriant.

— Mais… Moi, je…

— Pardon, mon petit ami, mais, je vous ai entendu tousser, plus d’une fois, depuis que vous êtes à mon bord, et…

— Ce n’est rien cette toux, je vous l’assure ! s’était écriée la jeune fille ; ce n’est qu’une sorte d’enrouement passager qui m’est resté, depuis que j’ai eu une inflammation des poumons, le printemps dernier.

— Raison de plus, pour que vous ne passiez pas la nuit au grand air ! répondit Claude. D’ailleurs, reprit-il en souriant, sur L’Aiglon, je suis le maître, après Dieu, et il faut m’obéir mon petit ami.

— Puisque je suis obligée d’obéir, avait dit Magdalena, souriant à son tour, je n’ai qu’à me résigner, après tout. Bonsoir donc, M. de L’Aigle ! Bonne nuit ! Bons rêves, et… merci !

Quelle nuit paisible elle avait passée, dans le lit confortable et moelleux, occupant presque tout l’espace du bijou de cabine, ne s’éveillant qu’assez tard, le lendemain matin.

Lorsqu’elle sortit de la cabine, elle vit que, sur le pont, la table était mise pour le déjeuner, et Eusèbe était là, l’attendant pour la servir.

— Vous avez bien dormi, je l’espère, M. Théo ? demanda le domestique.

— Merci, Eusèbe, j’ai dormi, sans m’éveiller, même une fois. Où est… où sont… les autres ; je veux dire, M. de L’Aigle et mon oncle ?

— Ils sont débarqués sur l’île, M. Théo. Nous allons essayer de renflouer votre chaloupe, vous savez.

— Ah ! oui ! fit la jeune fille. Notre pauvre Mouette ! Sans doute, ils ont besoin de vous, Eusèbe ?

— Oui, M. Théo, ils ont besoin de moi ; mais M. de L’Aigle…

— Allez leur aider alors, commanda-t-elle, en souriant. Moi, je n’ai pas besoin de vous, Eusèbe ; je m’arrangerai bien tout seul.

— Si vraiment vous pouvez vous passer de mes services… commença le domestique.

— Je m’en passerai très bien.

— Alors, j’y vais. Vous trouverez tout sur la table, M. Théo, et…

— Est-ce vous qui avez fait ce café, Eusèbe ? avait demandé la jeune fille.

— Mais, oui, M. Théo ! Est-ce que…

— Il est exquis, exquis ! Jamais je n’en ai bu