Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
le mystérieux monsieur de l’aigle

procurer le bois de construction nécessaire à la nouvelle aile.

— Séverin va me donner un maître coup de main, pour mon atelier, Théo, dit Zenon, ce soir-là.

— Tant mieux, mon oncle… Séverin est un bon ami pour nous.

— Tu l’as dit ! Séverin a le meilleur cœur qu’on puisse imaginer, et il nous est tout dévoué ; je trouve que nous sommes chanceux d’avoir un tel ami.

— Moi aussi, je trouve cela. Quand reviendra-t-il maintenant ?

— Demain peut-être… après demain, certain, et nous nous mettrons à l’ouvrage tout de bon.

Le lendemain, dans l’après-midi, alors que Magdalena était à terminer une croix en fleurs cirées, la dernière de la commande de l’entrepreneur de la Rivière-du-Loup, elle entendit parler Zenon, dehors. Séverin était arrivé et l’atelier serait probablement en marche bientôt.

La porte de La Hutte s’ouvrit. La jeune fille entendit, de nouveau, la voix de Zenon ; il disait :

— Il va falloir deux ou trois forts madriers. Je vais aller les chercher, si vous voulez bien m’attendre.

Elle entendit les pas de son père adoptif se diriger vers les bâtiments ; puis d’autres pas entrer dans la maison. Froufrou se mit à aboyer joyeusement.

— Bonjour, Séverin ! dit Magdalena, sans se retourner, ni même lever les yeux de sur son ouvrage. Excusez-moi si je vous reçois avec un tel sans cérémonie ; mais je suis si occupée et si pressée !

— Théo, mon petit ami, répondit une voix, tandis qu’une main se posait sur l’épaule de la jeune fille.

M. de L’Aigle ! s’écria-t-elle, rougissant et pâlissant, tour à tour. Oh ! M. de l’Aigle !

— Vous ne m’attendiez pas, mon petit ami ?

— Vous… vous aviez dit… la fin de septembre… balbutia Magdalena, avec, dans la voix, un tremblement qu’elle ne put maîtriser.

— C’est vrai, Théo, j’avais dit la fin de septembre, et nous n’en sommes pas bien loin, vous l’avouerez, n’est-ce pas ? dit Claude en souriant. Mais j’ai été plus longtemps absent que je m’y attendais… Si je suis en retard de quelques jours, il faut me le pardonner. Vous ne m’en voulez pas, je l’espère, mon petit ami ?

— Vous en vouloir !

— Non ; je vois bien que vous ne me garderez pas rancune… et nous sommes toujours amis, de bons amis, vous et moi, n’est-ce pas ? fit Claude en tendant la main à la jeune fille.

— Certes ! répondit-elle, en posant sa main dans celle de celui qu’elle aimait en secret.

— Je vois que vous êtes à confectionner d’admirables choses, dit-il, en désignant la croix de fleurs cirées, que Magdalena avait laissé choir sur la table, à l’arrivée de son visiteur. « Théo le fleuriste », c’est vous ?

— Oui, répondit-elle, en riant. Mais, comment savez-vous ?…

— J’ai vu de votre ouvrage, à la Rivière-du-Loup ; cependant, je n’étais pas absolument certain que ce fut vous « Théo, le fleuriste ».

— C’est Séverin qui a eu l’idée de me désigner sous ce nom, dit Magdalena en souriant ; il a cru que…

— Séverin ?… Un ami à vous et à votre oncle, sans doute ?

— Oh ! oui, l’un de nos amis. Il est le fils de cette pauvre Mme Rocques qui est décédée si subitement, tout dernièrement… vous vous en souvenez ? On a parlé de ce décès, au bal du Portage… son fils ayant été assassiné…

— Oui ! Oui ! Je me souviens !

— Séverin et mon oncle s’occupent, ensemble, de constructions. Nous sommes toujours contents de le voir, étant si isolés ici !

— L’isolement ne vous pèse pas trop, Théo ?

— Non… Je suis continuellement occupée, voyez-vous.

— Précisément. Il faut être très-occupé, ou bien avoir une toquade quelconque, pour trouver la vie tolérable, ici. Votre toquade, à vous, mon petit ami, je le devine, c’est… les fleurs. Est-ce que je me trompe ? Vous devez beaucoup aimer les fleurs, Théo ?

— Si j’aime les fleurs ! s’écria-t-elle. Je les aime toutes… les roses je les adore !

— Vraiment ?… Alors, nos goûts sont les mêmes ; moi aussi, j’aime les fleurs. Et les roses !… Quand je vous dirai qu’il y a deux grandes serres, à L’Aire, et que l’une d’elle ne contient que des roses…

— Seulement que des roses ?… Oh ! Ça doit être splendide !

— Il y a là des roses de toutes les nuances… J’ai, surtout, un spécimen de roses couleur saumon, qui sont… incomparables. Xavier, mon jardinier, est une perle, aussi !

En écoutant parler Claude, les yeux de Magdalena rayonnaient comme des étoiles… Que ça devait être beau L’Aire, quand ça ne serait que pour ses serres, surtout celle des roses !… Une serre entière remplie de roses !!

— Je vais étudier la botanique, cet hiver, confia-t-elle à Claude. J’attends, d’un jour à l’autre, un traité que mon oncle fait venir de Québec. Donc, la botanique va devenir ma toquade… Et vous, M. de L’Aigle, quelle est votre toquade… si vous en avez une ?

— Ma toquade, à moi, c’est l’astronomie. J’ai, à L’Aire, un observatoire, dans lequel je passe bien des heures de la nuit, souvent. Aimez-vous à étudier les astres, Théo ?

— Je ne les comprends pas, je l’avoue humblement. Mais, ça doit être une étude fort intéressante, l’astronomie ?

— Moi, je la trouve intéressante, bien sûr, répondit Claude en souriant. Il m’arrive souvent de partir pour des régions assez lointaines dans le but de faire quelques observations astronomiques, ou bien pour assister à quelque conférence sur ce sujet. Et puis, lorsqu’on annonce un phénomène atmosphérique, je vais l’étudier du plus près possible.

— L’astronomie, c’est la science dont l’origine se perd dans la nuit des temps, je sais, dit Magdalena, et c’est trop profond pour moi.

— Contentez-vous de la botanique, mon petit ami, conseilla Claude. La jeunesse et les fleurs… l’un ne va pas sans l’autre, ce me semble. Que je voudrais…