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le mystérieux monsieur de l’aigle

pressentait qu’il allait éclater en sanglots devant sa fille adoptive.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans le boudoir luxueux d’une splendide résidence, située dans une des rues les plus aristocratiques de la ville de Toronto, une femme est assise. Une femme blonde, pas très jeune, mais jolie encore et d’apparence fort distinguée.

En face d’elle est un monsieur aux cheveux blonds, aux yeux bleus très foncés, à la moustache dorée. Tous deux causent ensemble, tout en buvant du thé et en mangeant des gâteaux.

— Ainsi, Claude, dit la dame, continuant évidemment une conversation, vous vous mariez dans six jours ?

— Oui, Thaïs, je me marie dans six jours.

— Elle doit être extraordinairement charmante et attrayante celle qui vous a décidé enfin à renoncer au célibat ! fit Thaïs en souriant.

— Magdalena est charmante, attrayante, en effet ! Vous la connaîtrez, un jour, je l’espère, Thaïs, et vous l’aimerez, j’en suis sûr.

— Vous ne m’avez pas dit… votre Magdalena est-elle veuve, ou bien célibataire, comme vous ?

Claude rit d’un grand cœur.

— Ma chère cousine, répondit-il, vous avez l’air de croire que ma fiancée est de mon âge à peu près… Détrompez-vous ; elle n’a pas vingt ans.

— Ah ! Vraiment ! Vous allez épouser… une enfant alors ?

— Une exquise enfant… Et, Thaïs, vous ne le croirez pas peut-être, mais, elle m’aime… pour moi-même… Cela doit vous étonner ; mais il en est ainsi. J’ai laissé loin derrière moi l’âge des illusions, vous le savez, et je vous certifie que Magdalena m’eut épousé quand même, si j’eusse été pauvre et si j’eusse habité une masure, au lieu d’une sorte de château.

— Je le crois sans peine, Claude, assura Thaïs. Ça ne m’étonne pas le moindrement que votre fiancée vous aime « pour vous-même ». Vous êtes tout à fait charmant, vous savez, mon cousin, ajouta-t-elle en souriant. Eh ! bien, j’espère que vous serez parfaitement heureux tous deux !

— Merci, ma bonne cousine, répondit-il. Puis il se fit un silence.

— Claude, demanda-t-elle, tout à coup, lui avez-vous dit, à Magdalena ?… L’avez-vous avertie ?… L’avez-vous mise au courant de… de… vous savez ce dont je veux parler…

— Non, Thaïs, je ne lui ai pas dit ; je ne l’ai pas averti ; je ne l’ai pas mise au courant de… ce dont vous parlez.

— Ô Claude ! fit Thaïs, d’un ton de reproche.

— Je n’ai pas trouvé que c’était nécessaire… Je n’ai pas questionné Magdalena sur son passé ; conséquemment…

— Le passé d’une jeune fille de vingt ans ! dit Thaïs en riant. Mon cher Claude ! À quoi pensez-vous ?

— Eh ! bien, n’ayant pas demandé à ma fiancée de me rendre compte des années pendant lesquelles elle m’était inconnue, j’ai trouvé que, de mon côté, je n’avais pas de comptes à rendre ; voilà !

— Mon cher cousin, ne faites pas cela ! Ne vous mariez pas sans tout dire à Magdalena ! Vous feriez la plus grande des sottises, dont vous ne tarderiez pas à vous repentir amèrement !

— Ma bonne cousine, fit Claude froidement, de quoi parlez-vous, en fin de compte ?… Je n’ai rien à… à… dévoiler à Magdalena ; il n’y a rien dans le passé, ni dans le présent, qu’il soit nécessaire qu’elle sache.

— Mais, Claude ! Elle finira infailliblement par découvrir…

— Elle ne découvrira rien.

— Ah ! Qui sait ?… Une remarque faite par quelqu’un, dans la rue ou ailleurs, au moment où vous passeriez, en compagnie de votre femme… car, vous êtes plus connu que vous le pensez peut-être, et ce qui concerne le « mystérieux M. de L’Aigle » intrigue et intéresse bien des gens… Et puis, il suffirait d’une lettre que vous laisseriez traîner ou que vous oublieriez quelque part dans votre maison, ou bien encore d’un voyage dont vous pourriez difficilement expliquer le motif…

— Ne craignez rien de ce genre, Thaïs, répondit-il en se levant pour partir. Le silence est d’or, vous savez, ma cousine, ajouta-t-il en souriant ; n’ayant pas jugé à propos de dévoiler certaines choses, je continuerai à me taire.

— Est-ce sage ?… Et puisque votre fiancée vous aime tant, quelle différence cela lui ferait-il de savoir…

— Magdalena est très jeune, Thaïs, et puis, elle a en moi une confiance entière… C’est la seule réponse que je puisse vous donner.

— Vous avez tort, bien tort, Claude ! s’exclama Thaïs. Si Magdalena apprend les choses par d’autres que vous, ça lui paraîtra plus… plus… dramatique (dois-je dire « dramatique » ?) que si vous les lui appreniez vous-même. Ô Claude ! Claude !

— N’en parlons plus, voulez-vous, Thaïs ? Vos conseils, je le sais, sont dictés par la sagesse… mais je ne peux pas les suivre.

— Dites plutôt que vous ne voulez pas les suivre, mon ami.

— Comme vous voudrez, ma cousine. Je vous remercie, tout de même de l’intérêt que vous portez à mon futur bonheur… et à celui de Magdalena. J’espère que vous serez son amie, à ma douce fiancée, ma femme bientôt ?

— De cela vous pouvez être certain. Je le répète, j’espère que vous serez heureux tous deux ! Je serai avec vous, par la pensée, le 2 juin.

— Adieu, alors, Thaïs. Il est grand temps que je parte, car je ne peux pas risquer de manquer le train.

— Ainsi, je vous attendrai, à votre retour d’Europe, n’est-ce pas ? Vous m’avez promis d’arrêter ici en passant.

— Nous n’y manquerons pas, ma cousine. Merci.

— Il m’a fait grand plaisir de vous voir, Claude. Adieu, et bon voyage… à la Pointe Saint-André ; bon voyage en Europe aussi !

— Adieu, et encore merci, Thaïs !