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le mystérieux monsieur de l’aigle

de musique d’orchestre, de l’Europe, et rien ne les amusait comme de déchiffrer les partitions les plus difficiles. De plus, Magdalena prenait des leçons de harpe, de son mari, et déjà, elle jouait de cet instrument fort joliment.

Pour les « fêtes », on avait eu la visite de Thaïs, Mme de St-Georges. Elle avait passé quinze jours à L’Aire et elle avait été la très bienvenue. Magdalena aimait beaucoup Thaïs, qu’elle avait connue intimement, ayant passé près d’une semaine chez elle, à Toronto, à leur retour d’Europe. Inutile de le dire, Zenon Lassève et Séverin Rocques avaient pris les dîners de Noël, du jour de l’an et des Rois, à L’Aire, eux aussi, et ils s’étaient déclarés enchantés de Mme de St-Georges.

Dans les premiers jours du mois de mars, Claude dut s’absenter. Une lettre, reçue, un matin, l’obligeait à partir, sans retard. Ce fut le premier chagrin de Magdalena que le départ de son mari. Mais elle s’était promise d’être raisonnable, de ne pas faire de « scènes », en ces occasions. Même avant de se marier, elle savait que Claude s’absentait assez souvent, pour assister à des conférences sur l’astronomie, etc., etc., et elle s’était jurée à elle-même qu’elle ne s’opposerait jamais à son départ.

— Seras-tu longtemps absent, mon Claude ? lui avait-elle demandé seulement.

— Quatre ou cinq jours, au plus, ma Magda, lui avait-il répondu. Je ne te laisse pas seule, heureusement ; Mme d’Artois est avec toi, et je sais qu’elle prendra bien soin de toi, ma chérie.

Ces cinq jours avaient, malgré toute sa bonne volonté, paru longs à la jeune femme, quoiqu’elle eut trouvé le moyen de se distraire. Tout d’abord, le lendemain du départ de son mari, elle avait proposé à Mme d’Artois de l’accompagner à La Hutte.

— Mais, comment vous proposez-vous d’y aller, Magdalena ? avait demandé Mme d’Artois. Les chemins sont impassables, vous le savez… Sûrement, vous ne songez pas à faire le trajet à cheval ?

— Oh ! non, bien sûr ! Quoiqu’Eusèbe serait une bonne escorte. Mais je ne tiens pas à me rendre à La Hutte ainsi… Nous pouvons fort bien marcher jusque là, n’est-ce pas ?

— Marcher jusqu’à La Hutte, Magdalena ! s’écria Mme d’Artois.

— Pourquoi pas ? Ce n’est pas une bien longue marche et…

— Oh ! Pour moi, ce n’est rien ; mais je craindrais que cela vous fatigue énormément, Magdalena !

— Je ne le crois pas… Et puis, le médecin m’a prescrit des promenades en plein air, à pied surtout… Il est dix heures. En partant, sans retard, nous arriverons à La Hutte pour le dîner.

— Nous pouvons toujours essayer…

— Ce sera un véritable pique-nique, Mme d’Artois, dit Magdalena en souriant. Nous emporterons des provisions dans un panier. Il doit y avoir quelque chose, de cuit, à la cuisine ; quelque chose de bon, n’est-ce pas ?

— Je vais m’en assurer, répondit Mme d’Artois en se levant et quittant le corridor d’entrée, où venait d’avoir lieu cette conversation.

Bientôt, elle revint et annonça que Candide allait préparer un panier de mets fort délectables ; entr’autres, des perdrix, toutes prêtes à être mangées. Rosine apporterait le panier, aussitôt que ce serait prêt.

Lorsque Magdalena revint dans le corridor, accompagnée de Mme d’Artois, toutes deux habillées et prêtes à partir, Rosine arrivait, chargée du panier de provisions.

— Merci, Rosine, dit Mme d’Artois.

Magdalena jeta les yeux sur la fille de chambre et elle ne put s’empêcher de sourire : évidemment, Rosine eut donné tout au monde pour les accompagner.

Magdalena, tout comme Mme d’Artois, aimait beaucoup la jeune fille, qui lui était toute dévouée d’ailleurs ; elle lui dit donc :

— Nous allons à La Hutte, Rosine. Aimeriez-vous à nous accompagner ?

— Oh ! Madame ! s’écria Rosine, au comble du bonheur. Quelle bonté de votre part ! Moi qui aime tant M. Lassève et M. Rocques !

— Nous allons vous emmener, Rosine, mais hâtez-vous, car nous partons dans moins de dix minutes.

— Le temps de mettre mon chapeau et mon manteau et je reviens, Madame, promit la jeune fille.

— Dites à Candide, ou à Eusèbe, si vous le rencontrez, qu’il n’est pas certain que nous revenions ce soir. Je serai peut-être trop fatiguée ; nous coucherons probablement à La Hutte.

— Bien, Madame, répondit Rosine, qui partit, presque courant.

Il était dix heures et quart quand les trois femmes partirent, accompagnées de Froufrou, qui les précédait en aboyant joyeusement. La distance n’était pas longue, de L’Aire à La Hutte, et sur un terrain planche, ce n’eut été qu’une promenade agréable de trois quarts d’heure à peu près. Mais le sentier était fort accidenté ; il fallait parfois escalader des rochers, puis les redescendre ensuite. Ce qui fait que, arrivée à moitié chemin, Mme d’Artois s’aperçut que Magdalena paraissait fatiguée, ce qui ne manqua pas d’inquiéter beaucoup la surveillante et compagne. Et pas un endroit où l’on pouvait se reposer ! Les rochers étaient encore recouverts de neige ; c’eut été imprudent de s’y installer, de s’y attarder même.

Enfin, on arriva à La Hutte. La surprise et la joie de Zenon Lassève et de Séverin Rocques furent excessives, on n’en doute pas ; mais lorsqu’ils apprirent que les trois femmes avaient parcouru le trajet à pied, Zenon trembla pour Magdalena.

— N’est-ce pas très imprudent ce que tu as fait, Magdalena ? demanda-t-il.

— Je ne crois pas, mon oncle. Je suis un peu fatiguée il est vrai ; mais je vais me reposer un peu, et bientôt, ça n’y paraîtra plus. Chose certaine, cependant, c’est que je ne retournerai pas à L’Aire aujourd’hui.

— Je le crois bien ! s’écrièrent-ils tous.

— Si, au moins… commença Zenon.

— Ne soyez pas inquiet à mon sujet, je vous