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LE SPECTRE DU RAVIN

— Si je l’accepte ! s’écria Marielle, entourant de ses bras le cou de M. Jambeau. Certes, oui, je l’accepte !… Cependant, j’y mets une condition…

— Voyez-vous cela ? dit M. Jambeau, en riant. Eh ! bien, quelle est cette condition, Mlle Marielle !

— C’est que vous cesserez de m’appeler Mademoiselle Marielle… Vous êtes bon pour moi comme le meilleur des pères, M. Jambeau, et…

M. Jambeau avait des larmes dans les yeux.

— Petite Marielle chérie ! murmura-t-il. C’est bien ! C’est entendu !… Maintenant, il s’agit d’organiser des Soirées Littéraires et Musicales, et je propose que nous ayons deux soirs par semaine : le lundi et le jeudi. Nous ferons la lecture à haute voix, puis nous aurons de la musique et du chant… Qu’en dites-vous, mes jeunes amis ?

— Ce sera charmant ! s’écrièrent-ils tous.

Quand, vers les dix heures et demie, Nounou vint chercher Marielle, les Soirées Littéraires et Musicales de M. Jambeau étaient choses décidées, et c’est le cœur heureux que chacun retourna à son domicile.


CHAPITRE XXVI

LA REINE DU ROCHER


Le lundi soir suivant, quand Marielle arriva à l’assemblée du Cercle Littéraire Musical de M. Jambeau, elle n’était pas seule : Louise Vallier l’accompagnait. En apercevant cette dernière, M. Jambeau, Jean et Maurice froncèrent les sourcils malgré eux ; mais, ils étaient tous de galants hommes et ils parvinrent à dissimuler, quoiqu’imparfaitement, le désappointement qu’ils éprouvaient. Louise Vallier, on le sait, n’était pas populaire, et on ne comprenait pas pourquoi Marielle s’en était fait accompagner.

L’explication ne tarda guère, cependant, car, profitant du moment où Louise Vallier était allée enlever son chapeau et son manteau, dans la pièce voisine, Marielle dit à M. Jambeau :

— Cher M. Jambeau, j’ai pris la liberté de me faire accompagner de Louise Vallier, parce que je n’avais pas le choix… ou plutôt j’en avais un : ou j’emmenais Louise Vallier au Cercle, ou je restais chez moi… Mme Dupas m’a imposé sa fille, prétendant que ce n’était pas convenable pour moi de venir seule ici, avec trois messieurs. Entre deux maux, j’ai choisi le moindre ; j’ai préféré tolérer Mlle Vallier et venir moi-même… Ai-je bien fait, M. Jambeau ?

Certe, oui, Marielle, vous avez bien fait !… Cette demoiselle Vallier ne me revient pas du tout, il est vrai ; mais sa présence sera tolérée ici… à cause de vous, chère petite.

On pénétra dans la bibliothèque et aussitôt, Louise Vallier se dirigea vers le siège le plus confortable de la pièce : une jolie chaise berceuse, émaillée de blanc et matelassée de coussins de velours marron. Mais avant même qu’elle put s’emparer de cette chaise, M. Jambeau lui offrit un autre siège en disant :

— Prenez donc ce fauteuil, Mlle Vallier ; vous le trouverez très confortable… Cette chaise berceuse appartient à la Présidente de notre Cercle Littéraire et Musical, à la Reine du Rocher ; à Marielle enfin.

— Ah ! dit Louise Vallier, en riant d’un de ces rires si déplaisants. Marielle avant tout et tous, n’est-ce pas, M. Jambeau ?

— Vous l’avez dit, Mlle Vallier, répondit gravement M. Jambeau, Marielle avant tout… N’est-ce pas, Jean ?… Marielle, ajouta-t-il, en offrant la chaise berceuse à la jeune fille, cette chaise vous appartient en propre ; veuillez en prendre possession.

— Merci, M. Jambeau, répondit Marielle. Quelle jolie chaise, et qu’elle est confortable !

— C’est le trône de la Reine du Rocher, dit M. Jambeau en souriant.

Marielle ouvrit la séance en lisant quelques chapitres d’un roman très intéressant. On laissa l’héroïne du roman dans une situation très précaire ; M. Jambeau ne voulut pas que l’on lut plus longtemps.

— Voyez-vous, jeunes gens, dit-il en souriant, je veux stimuler votre intérêt et vous obliger à assister régulièrement à nos assemblées. Nous laisserons donc l’héroïne où elle est, pour le présent ; vous aurez hâte de la voir retirée de là, et vous viendrez, sans y manquer, jeudi soir. Tous rirent d’un bon cœur de cette tirade de M. Jambeau.

— Un peu de musique maintenant ; ensuite, nous lirons des poésies.

Marielle se mit au piano et elle joua deux ou trois mélodies, puis Maurice joua quelques morceaux de violon, Marielle l’accompagnant au piano.

C’est Jean qui eut la tâche de lire les poésies et on n’eut pu faire un meilleur choix, car il lisait très bien les vers ; ce qui est plus rare qu’on ne serait porté à le croire peut-être.

— Jean, dit M. Jambeau, vous chantez, j’en suis sûr, et nous aimerions à vous entendre.

— Je chanterai bien, si vous le désirez, répondît Jean. Voici une chanson de ma composition. Je vous en avertis, cependant, c’est une chanson « à répondre »… Promettez de reprendre, tous, en cœur !

— Oui ! Oui ! Nous promettons !

Jean, après avoir joué quelques accords comme introduction, chanta :


LA REINE DU ROCHER


II

Elle est si gentille et si belle !
Or, comment ne pas l’admirer ?
Elle se nomme Marielle
La Souveraine du Rocher.

Et le chœur de reprendre :

Elle se nomme Marielle
La Souveraine du Rocher.

III

Nous choisissons pour ritournelle
Ces mots qu’on aime à répéter :
Vive la douce Marielle !
Vive la Reine du Rocher !

Et le chœur de chanter à tue-tête :

Vive la douce Marielle !
Vive la Reine du Rocher !