Page:Bourget, Poésies 1872-1876.djvu/76

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Bien des jours sont passés, et la mémoire humaine
Est faible ; — mais mon cœur ressemble à la fontaine
Où quelque enfant joueur jette un caillou, pour voir.
D’abord le sable monte et trouble l’eau courante.
C’est plus tard que la source, à nouveau transparente.
Réfléchira la pierre en son pur réservoir. —

Tel, depuis que le temps en mes pensers moroses
A mis ta forme au rang des immobiles choses.
Je te vois mieux qu’aux jours trop voisins de ta mort ;
Et je n’ai qu’à marcher tout seul, quand le soir tombe.
Pour que mon souvenir s’envole vers ta tombe,
Simple tombe où je sais qu’une belle âme dort.

Sur la terre, où fleurit une sombre pensée.
Une croix de bois noir fortement enfoncée
Marque à mes yeux le lit de ton dernier sommeil.
Une date, et ton nom, et pas même ton âge.
Pour qu’au moins la pitié vienne à tous au passage
En songeant à ta vie éteinte en plein soleil.
 
C’est qu’il est des hasards si douloureux ! Peut-être
Un passant relit-il ton nom, lettre par lettre,
Et se demande-t-il en rêvant qui tu fus ;