Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/24

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l’appelait volontiers « mademoiselle Hubert », et si gracieux, comme tous les jeunes gens élevés uniquement par des femmes ? Dans les conditions où sa mère et sa grand’mère se trouvaient, comment ce garçon n’aurait-il pas été le monde entier pour elles ? « Si elles sont si tristes, ce ne peut être qu’à cause de lui, » se dit le comte ; « il ne s’agit pourtant pas de guerre… » Le vieux soldat se rappelait la promesse que le jeune homme lui avait faite de s’engager aussitôt, si jamais une nouvelle lutte mettait aux prises l’Allemagne et la France. Cette condition seule l’avait décidé à ne pas combattre le désir épouvanté des deux femmes, qui avaient voulu garder leur fils auprès d’elles. Le jeune homme, en effet, s’était senti attiré d’abord par le métier militaire ; mais la seule idée de voir cet enfant revêtu d’un uniforme avait été pour Mme Castel et Mme Liauran un trop dur martyre, et Hubert était demeuré auprès d’elles, sans autre carrière que de les aimer et d’en être aimé. Le souvenir de son filleul éveilla chez le comte une nouvelle suite de rêveries. Son coupé, après avoir descendu la rue du Bac, s’engageait maintenant sur les quais. Un paquet de pluie s’abattit sur la joue du vieux soldat, qui ferma enfin le carreau resté ouvert. La sensation soudaine du froid le fit se recroqueviller davantage dans le coin de sa