Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/159

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tentante des grandes affections. Qui a pu aimer profondément et ne pas se réjouir d’enchaîner sa liberté par les innombrables liens des plus petites habitudes ? On ne se réserve pas plus une heure que l’on ne se réserve une pensée, et, quand on a besoin pourtant de se l’assurer, l’indépendance de cette heure, on se trouve, comme Francis, obligé à de misérables subterfuges. De telles ruses sont fécondes en révoltes pour ceux qui commencent d’aimer moins et sur qui cette obligation de tromper met une trop pénible chaîne. Ceux qui sont épris véritablement en souffrent comme d’un remords, et, à travers ces incohérences d’une sensibilité soudain touchée à un point trop irritable, le jeune homme ne cessait pas d’aimer passionnément Henriette. Il l’aimait, et il continuait, avec cette affreuse, cette inéluctable logique des situations fausses, à redoubler la trahison d’âme que représentait la dualité de ses émotions actuelles par de honteux mensonges non plus de silence et d’omission, mais de fait, comme celui qu’il imagina le soir même pour avoir le droit de hasarder sa descente au jardin dès le jour suivant :

— « J’ai oublié de vous conter, » dit-il à table, « que je serai obligé de vous laisser sortir seules demain matin. Je dois retourner à la banque pour ce chèque au sujet duquel j’ai eu une petite difficulté… »