Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/167

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elle était fragile, la fille vraiment de l’angoisse et du deuil, l’enfant portée pendant de longs mois par une mère qui se ronge le cœur de chagrin, de haine, de remords, et qui veut vivre cependant pour l’être qu’elle a senti remuer en elle ! Elle flottait, cette flamme fiévreuse d’une vie obstinée et volontaire, autour de ce jeune visage trop pâle mais déjà si expressif, de ces prunelles trop brillantes, où passait une si intense curiosité à ce moment, et elles ne se doutaient pas qu’en cessant de suivre le vol des balles, elles auraient rencontré d’autres prunelles noyées de pitié, d’étonnement, de défiance, de tendresse, de tout ce qu’un cœur d’homme peut mettre dans le regard par lequel il a l’évidence, la révélation de son sang.

Combien de temps dura cette contemplation d’une si souveraine puissance d’envahissement ? Quelques minutes à peine, comme Francis put s’en convaincre lorsqu’elle eut été interrompue. Mais, au lieu de ces quelques minutes, il fût demeuré là une heure entière qu’il ne s’en serait pas aperçu davantage, tant la sensation de cette terrassante ressemblance avait tout aboli en lui. Il en oubliait et le rendez-vous où l’attendaient les dames Scilly, et quelle conséquence fatale aurait le soupçon seul de son escapade, si par exemple les domestiques de la comtesse le surprenaient. Il oubliait même que Mme Raffraye pouvait descendre