Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/186

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sans être sûr de son sentiment pour sa fiancée lui eût semblé une affreuse faute, presque une scélératesse. Quand il avait constaté, avec ravissement et avec terreur à la fois, qu’il aimait Henriette, moins d’une année auparavant, quelle lutte il avait soutenue contre lui-même ! Comme il avait sondé son cœur afin de savoir s’il gardait, dans ce cœur épuisé de trente-quatre ans, assez d’ardeur morale et une délicatesse assez fervente ! Il avait voulu s’assurer que, malgré ses souvenirs et ses déchéances, il n’était pas absolument indigne de cette créature si chaste, si droite, si intacte, dans laquelle il devinait cette fière vertu de l’honnête femme, fille d’une honnête femme, et qui sera, si elle est mère, la mère d’honnêtes femmes : — l’incapacité d’aimer deux fois. Puis, quand il avait su qu’il était aimé en effet, et pour toujours, comme il avait été triste, même dans son extase, de penser qu’il portait, sur sa mémoire, la cicatrice d’une première passion et creusée si avant ! Comme devant ce don ineffable et irréparable d’une âme toute neuve, il s’était juré de mériter ce bonheur par une vérité de dévouement qui ne connaîtrait pas de défaillance !… Il n’y avait pas beaucoup plus de cinq mois qu’ils étaient fiancés, et déjà il trahissait Henriette. Il lui avait menti en paroles, menti en actions. Il lui mentait en ce moment même, puisqu’il ne lui avouerait jamais l’emploi de sa nuit, quand