Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/216

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exercée dans d’autres circonstances ! Elle ne pouvait qu’augmenter sa misère en lui montrant ce qui aurait pu être, et en le précipitant davantage dans le gouffre des émotions contradictoires. Sentir à ce degré la grâce de cette enfant, c’était boire une dose nouvelle du poison qui enfiévrait déjà tout son être, c’était perdre de sa force morale, perdre de son honneur, — perdre de son amour aussi. C’était du moins laisser se diminuer encore en lui son pouvoir d’être heureux par cet amour. Et il écoutait, avec ravissement, avec désespoir, avec curiosité, avec épouvante, le dialogue plus familier à chaque réplique qui s’échangeait entre les deux voisines :

— « Est-ce que vous n’avez jamais vu un aussi bel arbre de Noël ? » avait demandé Mlle Scilly.

— « Oh ! non ! » s’était empressée de répondre la vieille Annette, qui demeura étonnée de constater que le mutisme habituel de sa petite maîtresse devant les étrangers cessait tout d’un coup, car Adèle répondait, elle aussi, au même moment :

— « Non. Pas d’aussi beau, mais j’en ai vu de bien beaux tout de même… L’année dernière, maman a fait un arbre pour cinquante petites filles. Je l’aimais encore mieux que celui-là… D’abord, » ajouta-t-elle en fixant un point imaginaire, « c’était chez nous, et il y avait de la neige… »