Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/220

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redoubler l’inconsciente exaltation, comme elles redoublaient la pitié d’Henriette, tout émue d’avoir touché à une place trop tendre de cette sensibilité précocement vulnérable. Ces mélodies achevaient aussi de troubler profondément Francis. N’ayant pas perdu une syllabe de ce court entretien, il demeurait effrayé de constater chez cette enfant cette précocité de cœur. Il l’avait sentie sentir, et, dominé comme il était par les idées d’hérédité, comment n’aurait-il pas reconnu en elle le don fatal qu’il lui avait transmis avec les traits de sa famille, celui d’une morbide délicatesse de sentiment ? Sa sœur et lui en avaient tant souffert, quand ils avaient l’âge d’Adèle, mais pas plus l’âme de leur âge qu’elle n’avait, elle, l’âme du sien. Et vers qui allait-elle, cette tendresse prématurément maladive ? Vers une mère qui, pour être aimée de la sorte, avait dû vraiment le mériter. Francis le savait par sa propre expérience, les enfants les plus sensibles ne sont pas ceux qui s’attachent le plus. Ils sont si aisément froissés et blessés. Une parole vive, une injustice, une impatience suffisent à les faire se replier sur eux-mêmes, et, quand vous voulez vous rapprocher d’eux, votre présence leur renouvelant cette cruelle émotion, il vous devient presque impossible de les reconquérir. L’idolâtrie d’Adèle pour Mme Raffraye était un témoignage de plus, et celui-là irréfutable, du dévouement