Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/319

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droit que je vous parle, c’est au nom de notre amour, au nom de notre chère intimité, au nom de ma peine… Je vous le répète, j’en ai eu trop quand je vous ai soupçonné de me mentir… »

À mesure qu’elle racontait, avec cette éloquence de l’accent qui prête de l’éloquence aussi aux termes les plus simples, cette touchante et naïve histoire, ses douloureuses susceptibilités de cœur, ses luttes, ses trop perspicaces divinations, cette démarche pour elle presque coupable, elle pouvait voir la pâleur de la mort envahir le visage de Francis et une invincible terreur décomposer ses traits si contractés depuis quelques jours. Ce qu’il avait le plus redouté, la découverte par Henriette d’une relation quelconque entre lui et Pauline, s’était donc réalisé. Et cette découverte, si périlleuse pour l’avenir de son bonheur, quel en avait été l’instrument ? Cette innocente enfant, abandonnée par lui depuis tant d’années, cette gracieuse et tendre petite fille, — sa fille, — dont la seule présence sous le même toit que lui l’avait bouleversé, dont la seule vue l’avait comme déraciné de la résolution à laquelle il se tenait si énergiquement attaché depuis tant d’années. Qu’elle fût encore la cause inconsciente de cet épisode décisif dans la tragédie où il se trouvait engagé, c’était de quoi lui infliger d’une manière trop forte ce frisson d’une fatalité expiatrice qui le remuait à chaque nouvel incident depuis plusieurs