Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/35

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— « Penser, » se disait-elle, « qu’il existe, celui qui doit me la prendre, qu’il respire, qu’il marche, que nous l’avons peut-être rencontré hier, aujourd’hui, dans notre promenade ! C’est pour lui que j’aurai orné ce gracieux esprit d’idées fines, pour lui ce tendre cœur de sentiments nobles… Si je pouvais l’élever, lui, pour elle, comme je l’élève, elle, pour lui ?… Son père répétait toujours : Elle épousera quelqu’un qu’elle aime. Il était un homme, il savait la vie, il aurait jugé celui qui se présentera, au lieu que moi ?… »

C’est par milliers que la veuve inconsolée avait prononcé tout bas de ces monologues de sollicitude maternelle plus fréquents et plus pressés à mesure que le temps avance. Ils aboutissent alors à des projets caressés complaisamment, puis déjoués par une de ces rencontres non prévues à la suite desquelles un hôte nouveau entre en scène, l’inattendu, l’irrésistible amour. La comtesse Scilly avait, durant ces années trop courtes à son gré, déployé son soin le plus constant à entourer Henriette d’amies irréprochables et pieuses comme elle-même. Elle s’était appliquée à graduer de son mieux la prudente reprise de ses relations de monde. Elle avait voulu que pas une des habitudes de fine aristocratie qu’elle pratiquait à l’époque de ses jeunes élégances ne fût perdue pour sa fille, et elle avait appelé à elle tout le secours de son expérience première pour étudier