Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/377

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longuement, indéfiniment, c’était un de ces songes qui eussent fait sourire, même dans son honnête et simple milieu, ses plus innocentes compagnes de visite et de bals de l’année précédente, tant il enveloppait de naïveté. Mais s’il y a une naïveté enfantine et qui mérite ce sourire parce qu’elle suppose la présomption, il en est une autre qui mériterait de s’appeler autrement parce qu’elle est faite d’une modeste croyance à l’absolue bonne foi de ceux qui nous entourent. C’était ce songe que pleurait Henriette, celui d’un mariage avec un homme qui n’eût jamais aimé qu’elle, comme elle n’avait jamais aimé, comme elle n’aimerait jamais que lui ; — le songe de lentes, de douces années, passées, jusqu’à la mort, auprès d’un ami qui n’eût pour elle de secret, ni dans le présent, ni dans le passé, comme elle-même n’avait et n’aurait aucun secret pour lui ; — le songe d’un constant abandon à une conscience qui guiderait la sienne, à un esprit dont toutes les idées seraient aussi ses idées, dans les moindres pensées duquel elle trouverait sans cesse une raison de l’aimer davantage. Ce songe, elle avait cru le réaliser, elle l’avait réalisé, tant Francis s’était, sincèrement et par besoin de lui plaire, modelé tout entier sur les désirs de sa fiancée. L’appétit d’émotion sentimentale qui était le trait dominant de ce singulier caractère l’avait instinctivement plié aux manières d’être