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LE DISCIPLE

des trains arrivait sans cesse jusqu’à ce cabinet paisible. J’étais sur le tapis, au coin du feu, à jouer sans bruit, et cet appel strident produisait dès lors sur mes nerfs une étrange impression de mystère, d’éloignement, d’une fuite de l’heure et de la vie. Mon père traçait à la craie sur un tableau noir des signes énigmatiques, figures de géométrie ou formules d’algèbre, avec cette netteté dans les lignes des courbes ou les lettres des polynômes qui révélait l’habituelle méthode de son être intime. D’autres fois, il écrivait, debout, à une table d’architecte qu’il préférait à son bureau, — table composée simplement d’une large planche en bois blanc placée sur deux tréteaux. Les grands livres de mathématiques rangés avec minutie dans la bibliothèque, les figures froides des savants dont les portraits gravés en taille-douce et sous verre étaient les seuls objets d’art dont se décorassent les murs, la pendule qui représentait un globe du monde, deux cartes astronomiques pendues au-dessus du bureau, et, sur ce bureau, la règle à calculs avec ses chiffres et son coulant de cuivre, les équerres, les compas, la règle plate en forme de T, j’évoque à mon gré ces menus détails où tout n’était que pensée, et ces images m’aident à comprendre comment dès ma lointaine enfance le rêve d’une existence purement idéale et contemplative s’élabora en moi, favorisé sans doute par l’hérédité. Mes réflexions posté-