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LE DISCIPLE

pour moi que de vous avoir rencontré… »

Vous jugerez, mon cher maître, par tout ce quo je vous ai montré de mon caractère, que ces compliments devaient me flatter comme un témoignage de la perfection avec laquelle j’avais joué mon rôle, et me rassurer sur mes craintes des derniers jours. Il n’en fut rien. J’aperçus ce fait bien net et positif : Charlotte n’avait pas voulu raconter la tentative de déclaration que j’avais faite auprès d’elle, et je me demandai aussitôt : pourquoi ? Au lieu d’interpréter ce silence dans un sens qui me fût favorable, j’entrevis soudain cette idée qu’elle s’était tue parce qu’elle n’avait pas voulu m’ôter mon gagne-pain, par pitié, mais non pas cette pitié amoureuse que j’avais voulu provoquer. Je n’eus pas plus tôt imaginé cette explication, qu’elle devint pour moi évidente et en même temps insupportable, « Non, » me dis-je, « cela ne sera pas. Je n’accepterai pas l’aumône de cette outrageante indulgence… Quand Mlle de Jussat reviendra, elle ne me trouvera plus ici. Elle me montre ce que j’aurais dû faire, ce que je ferai. J’ai voulu l’intéresser, je n’ai même pas attiré sa colère… Laissons-lui du moins un autre souvenir que celui d’un cuistre qui garde sa place malgré les pires affronts… » J’étais tellement désarçonné de mes projets, cette espérance de séduction qui m’avait soutenu tout l’hiver était si morte, que je rédigeai, dans la nuit qui