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LE DISCIPLE

folle qu’une autre, au contraire, n’est-ce pas ? Il y a deux ans, on le lui offre. Elle dit non. Voilà mon garçon qui perd la tête et qui va là-bas pour en revenir à moitié mort… Et puis, c’est oui… Vous savez, j’ai toujours pensé qu’il y avait de cette amourette-là dans sa maladie nerveuse… Je m’y connais. Je me disais : elle aime quelqu’un… C’était lui. Et s’il n’avait plus voulu d’elle, tout de même ?… »

Je vous cite ce discours entre vingt autres ; il vous expliquera comment je trouvais à chaque minute une occasion de m’ensanglanter le cœur. Non, ce n’était pas M. de Plane que Charlotte avait aimé cet hiver ; mais elle avait aimé, voilà qui était certain. Nos existences s’étalent croisées en un point, comme les deux routes que je voyais, de ma fenêtre, se couper toutes deux, l’une qui descend des montagnes et va vers le bois fatal de la Pradat, l’autre qui remonte vers le puy de la Rodde. Il m’arrivait, tout seul, à la tombée du jour, de regarder les voitures suivre l’une et l’autre de ces deux routes. — Après s’être presque effleurées, elles se perdaient vers des directions contraires. Ainsi s’étaient séparées nos destinées, et pour toujours. La baronne de Plane vivrait dans le monde, à Paris, et cela me représentait un tourbillonnement de sensations inconnues et fascinantes, dans le décor d’une fête ininterrompue. Moi, je la connaissais trop bien, ma vie prochaine.