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LE DISCIPLE

déjà : la créature tendre, délicate, compatissante, la jeune fille effarouchée, l’amante passionnée jusqu’à l’extase. Je rencontrais maintenant sur ce noble visage le plus froid, le plus impénétrable masque de mépris. Ah ! la vieille et banale formule : l’orgueil patricien, j’ai pu m’en rendre compte à cette minute et que certains silences vous exécutent comme le fer du bourreau. Cette impression fut si amère que je ne pus m’y résigner. Ce jour même, je la guettai pour avoir un mot de sa bouche, fût-ce un nouvel outrage, et, au moment où elle entrait dans sa chambre, vers la fin de l’après-midi, pour s’habiller avant le dîner, j’allai à elle dans l’escalier. Elle m’écarta d’un geste si altier avec un si cruel : « Je ne vous connais plus… » sur sa bouche frémissante, un regard si indigné dans les yeux, que je restai sans trouver une phrase à lui dire. Elle m’avait jugé et condamné.

Oui, condamné. Cet arrêt aurait dû m’être d’autant plus cruel à subir qu’il était plus mérité. Elle me méprisait pour ma peur de la mort ; et c’était vrai, j’avais senti ce lâche frisson devant le trou noir, pendant que je la regardais reposer sur ma poitrine. J’avais certes le droit de me dire que cette peur toute seule ne m’aurait pas arrêté devant le suicide à deux, si la pitié pour elle ne s’y était point jointe et mon ambition de penseur. N’importe. Elle s’était donnée à moi sous une con-