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LE DISCIPLE

prendre le parti de quitter sa famille, quand l’invasion allemande et l’épouvantable naufrage national détournèrent de lui l’attention de ses compatriotes et de ses parents. Ces derniers moururent au printemps de 1871. Dans l’été de cette même année, Adrien Sixte perdit encore une tante, et c’est ainsi qu’à l’automne de 1872, ayant réglé toute sa fortune, il vint s’établir à Paris. Ses ressources consistaient, grâce à l’héritage de son père et à celui de cette tante, dans huit mille francs de rente placés en viager. Il était résolu à ne pas se marier, à ne jamais aller dans le monde, à n’ambitionner ni honneurs, ni places, ni réputation. Toute la formule de sa vie tenait dans ce mot : penser.

Pour mieux définir cet homme d’une qualité si rare que cette esquisse d’après nature risquera de paraître invraisemblable au lecteur peu familiarisé avec la biographie des grands manipulateurs d’idées, il est nécessaire de donner un aperçu des journées de ce puissant travailleur. Été comme hiver, M. Sixte s’asseyait à sa table dès six heures du matin, lesté seulement d’une tasse de café noir. À dix heures, il déjeunait, opération sommaire et qui lui permettait de franchir à dix heures et demie la porte du jardin des Plantes. Il se promenait là jusqu’à midi, poussant quelquefois sa flânerie vers les quais et du côté de Notre-Dame. Un de ses plaisirs favoris consistait dans de longues