Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/130

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deux petits appartements étaient loués dans l’hôtel à des personnes d’occupations tranquilles. Ces deux appartements avaient aussi leur histoire : le grand-père du marquis actuel les avait aménagés dans la vieille demeure pour deux cousins, chevaliers de Saint-Louis et anciens émigrés, qui avaient achevé là une existence errante et pauvre. M. de Saint-Euverte avait laissé les choses dans l’état où sa femme les avait mises. Claude se trouvait ainsi installé dans une des ailes du morne et silencieux bâtiment, et il s’y trouvait installé seul. L’autre locataire avait donné congé par dégoût de la tristesse de cette vaste maison, et aucun nouvel amateur ne s’était présenté pour s’enterrer dans cet énorme tombeau dressé entre une cour abandonnée et un jardin plus abandonné encore. Mais tout plaisait à l’écrivain de ce qui, précisément, déplaisait aux autres. L’étrangeté du lieu ravissait en lui à la fois le faiseur de paradoxes et le rêveur. Le caractère extravagant de son existence d’artiste viveur et mondain encadrée dans cette solennelle solitude lui plaisait, non moins que le calme dont il pouvait entourer ses agonies intimes. Le romantisme analytique dont il se savait atteint et qu’il développait complaisamment en lui, comme un médecin qui cultiverait sa maladie par amour d’un beau « cas », se délectait dans cette retraite. Il