Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/134

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théâtre par Forain, une danseuse de Degas, une banlieue de Raffaelli, une marine de Monet, quatre eaux-fortes de Félicien Rops, et, sur un socle drapé, un buste de Claude Larcher lui-même par Rodin, buste d’une intelligence extraordinaire où le grand sculpteur avait reproduit merveilleusement la psychologie entière de son modèle : l’inquiétude morale et le libertinage, la réflexion hardie et la volonté faible, un idéalisme natif et une corruption presque systématiquement acquise. Une bibliothèque basse, un bureau dans un coin, trois fauteuils dans le style vénitien avec des nègres pour supporter leurs bras, et un large divan de cuir vert achevaient l’ameublement de cet asile, que remplissait en ce moment la fumée de la cigarette russe de Colette. La jeune femme était couchée sur le divan, ses cheveux blonds à demi décoiffés, dans un costume légèrement masculin, avec un col droit et un veston ouvert. Sous la jupe en étoffe anglaise s’apercevaient ses fines chevilles, avec ses pieds un peu longs chaussés de bas de soie noire et de souliers vernis. Une pâleur était sur sa joue creusée, cette pâleur nacrée que l’abus du maquillage, les longues veillées, les fatigues d’une vie exorbitante donnent à beaucoup de femmes de théâtre. Claude était à ses pieds, sur ce même divan, tout pâle lui-même, et son visage altéré, comme le désordre