Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/137

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René enviait Claude alors autant qu’il le plaignait. Puis ces passages cédaient la place, au dégoût d’une part qu’inspirait au poète la bassesse morale de l’actrice, et d’autre part aux fervents scrupules d’amitié que professent et pratiquent les âmes jeunes. Cela eût fait horreur à René de désirer, même une minute, la maîtresse de son protecteur. Peut-être l’intuition de cette délicatesse n’était-elle pas étrangère aux attitudes de Colette. Elle s’amusait, par simple jeu de perversité, à lui promener sa beauté devant les sens, comme une fleur dont il faut bien que les narines respirent le parfum, même quand les mains ne s’étendront pas pour la saisir. Il en fut de la grâce avec laquelle la curieuse enlaça Claude, comme des autres caresses qu’elle lui avait prodiguées devant René : ce dernier ne put empêcher qu’il ne tressaillît en lui quelque chose d’obscurément physique, comme un appétit inconscient de baisers semblables, et, par une de ces associations de désirs, plus troublantes que les associations d’idées, parce que nous n’en apercevons pas la marche sécrète, l’image de madame Moraines ressuscita en lui, parée de toute la séduction qu’elle avait secouée autour d’elle, la veille, dans le parfum de sa toilette. Il sentit cette fois deux choses : l’une qu’il lui serait impossible de ne pas aller chez cette femme aujourd’hui même, la