Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/150

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sanctuaire parfumé de fleurs, éclairé doucement, attiédi par un feu paisible, le reçut avec un sourire et des yeux qui détruisirent du coup les angoisses puériles de sa première timidité. Les hommes à qui la nature a départi cet inexplicable pouvoir de plaire aux femmes, indépendant des qualités d’esprit et de cœur, même des qualités physiques, ont à l’âme comme des antennes morales pour les avertir, dès l’abord, des impressions qu’ils produisent. Le poète, malgré son ignorance absolue et du caractère de Suzanne et des usages de son monde, comprit qu’il avait bien fait de venir. Cette évidence détendit ses nerfs malades, et il put s’abandonner entièrement à la douceur qui émanait pour lui de cette créature, la première de cette race qu’il lui eût été permis d’approcher. Il trouva, rien qu’à la regarder, qu’elle n’était pas la même femme que la veille. Elle venait de rentrer ; sans doute quelque occupation inévitable, peut-être la nécessité d’écrire aussitôt, lui avait seulement permis d’enlever son chapeau et de remplacer ses bottines par de petits souliers vernis, car elle gardait encore sa robe de ville, toute sombre, avec un col droit comme celui de Colette ; ses cheveux étaient de la même nuance que ceux de Colette, et tout simplement tordus sur sa tête. Elle sembla au jeune homme, sous