Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/209

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inspirer qu’elles les méritent moins. Il osa dire, sauvant par la généralité de l’idée ce que sa réponse avait de trop direct :

— « Si vous saviez, Madame, combien de fois je me suis pris, lorsque le hasard de mes promenades m’amenait aux Champs-Élysées, à souhaiter d’être dans la confidence des mélancolies que je croyais surprendre sur certains visages ? … J’ai toujours pensé que les chagrins dans le luxe, les détresses morales au milieu de la félicité matérielle devaient être les plus à plaindre… »

Elle le regarda, comme si elle eût été surprise par ce discours. Elle avait dans les yeux cet étonnement ravi et involontaire de la femme, quand elle rencontre soudain chez un homme l’expression inattendue d’une nuance sentimentale qu’elle croyait réservée à son sexe.

— « Je pense que nous deviendrons vite amis, » dit-elle, « car nous avons des coins de cœur bien semblables… Êtes-vous comme moi ? Je crois aux sympathies et aux antipathies de premier instinct, et je crois sentir aussi quand on ne m’aime pas… Ainsi, — j’ai peut-être tort de vous dire cela, — mais je vous parle en confiance, comme si je vous connaissais depuis toujours— votre ami M. Larcher, je suis sûre que je ne lui suis pas sympathique… »

Elle était vraiment émue en prononçant cette