Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/218

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relations de Suzanne avec le baron Desforges, et il y avait cru, avec cette naïveté, particulière aux misanthropes, qui leur fait d’abord admettre l’infamie comme probable. Cela trompe, quelquefois. Une seconde, il eut la tentation d’avertir au moins René de ces on-dit. Il se tut. Par prudence et pour ne pas se faire un ennemi de Desforges, au cas où Suzanne saurait qu’il avait parlé et le redirait au baron ? Par pitié pour le chagrin que son discours causerait à René ? Par cruel délice de se voir un compagnon de bagne, — car entre Suzanne et Colette, qui valait le moins ? Par curiosité d’analyste et désir d’assister à la passion d’un autre ? Qui établira le départ des motifs infiniment complexes dont une volonté soudaine est le résultat ? Toujours est-il que Claude, après une demi-minute, et comme cherchant dans sa mémoire, termina ainsi sa phrase : « Si je sais quelque chose sur elle ? … Pas le moins du monde. Je suis un professional woman-hater, comme disent les Anglais.— Je ne connais celle-là que pour l’avoir rencontrée un peu partout ; et trouvée d’ailleurs moins sotte que la plupart… C’est vrai qu’elle est bien jolie… » Et par malice, ou pour jeter un coup de sonde dans le cœur de René, il ajouta : « Mes compliments ! … »

— « Vous parlez comme si j’en étais amoureux, » répliqua René dont le visage s’empourpra