Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/224

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qu’il possédât réellement les quatre mille livres de revenu de lord Byron. Elle était sur ce point aussi naïvement plébéienne que lui, de cette race, excusable, après tout, de confondre l’aristocratie réelle des sentiments avec l’autre, l’apparente aristocratie des formes extérieures de la vie. Quand on appartient à une famille qui a connu les dépressions morales du métier, la seconde de ces aristocraties apparaît si aisément comme la condition de la première ! Aussi les détails qui eussent fait croire à un observateur malveillant que René aimait Suzanne pour son décor, et non pour elle-même, charmèrent Émilie au lieu de la choquer, et elle avait si bien épousé la passion de son frère qu’elle lui dit en le quittant :

— « Tu n’y es pour personne… Va, je saurai défendre ta porte… Mais tu me montreras les vers que tu lui liras… Choisis-les bien. »

Ce travail de classement et de copie trompa l’ardeur du jeune homme, et lui permit d’attendre, sans trop se ronger, le jour de sa nouvelle visite au paradis de la rue Murillo. Les heures de solitude, coupées seulement de conversations avec Émilie, s’en allaient dans une douceur tour à tour et dans une mélancolie singulières. Tantôt l’image de Suzanne s’évoquait devant lui, délicieuse. Il posait sa plume, et les objets qui servaient de cadre à ses séances de labeur s’évanouissaient,