Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/237

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Avec son chapeau haut de forme et tout neuf, ses gants neufs, ses bottines neuves, il était presque parvenu à se donner une tenue de gravure de mode qui contrastait assez comiquement avec sa physionomie romantique. Il aurait pu se rendre plus ridicule encore, que Suzanne aurait trouvé dans ce ridicule des raisons de le désirer davantage. Les femmes amoureuses sont ainsi. Elle se rendit compte qu’il avait eu peur de n’être pas assez beau pour lui plaire, et elle s’arrêta sur le pas de la porte, quelques secondes, afin de jouir de l’anxiété qu’exprimait le naïf visage du jeune homme. Quand il l’aperçut lui-même, quel soudain afflux de tout son sang sur ce visage qu’encadrait l’or soyeux de sa barbe blonde ! Quel éclair dans le bleu sombre et angoissé de ses yeux ! « C’est un bonheur qu’il n’y ait personne pour le voir m’aborder, » songea-t-elle ; mais la blanche lumière qui tombait du plafond vitré du salon n’éclairait, en dehors d’eux, que des peintres en train de disposer leur chevalet ou leur échelle pour le travail de la journée, et des touristes, leur guide à la main. Suzanne, qui s’assura de cette solitude par un simple regard, put donc se laisser aller au plaisir que lui causait le trouble de René s’avançant vers elle, et, d’une voix étouffée par l’émotion, il lui disait :