Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/242

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créature à travers ces salles où il s’était déjà promené avec une autre ! La fatale comparaison qui, depuis sa rencontre avec madame Moraines, pâlissait, décolorait dans son esprit la pauvre petite Offarel, s’imposait plus forte que jamais. Le fantôme de sa fiancée flottait devant lui, humble comme elle, et il regardait Suzanne marcher, sœur vivante des beautés aristocratiques évoquées sur les toiles par les maîtres anciens. Ses cheveux dorés brillaient sous le chapeau du matin. Son buste se moulait dans une espèce de courte jaquette en astrakan. La petite étoffe grise de sa jupe tombait en plis souples. Elle tenait à la main un manchon, assorti à son corsage, d’où s’échappait un coin de mouchoir brodé, et elle élevait par instants ce petit manchon au-dessus de ses yeux, afin de se ménager le jour nécessaire à bien voir le tableau. Ah ! comment la présente n’eût-elle pas eu raison de l’absente, et la femme élégante de la modeste, de la simple jeune fille, — d’autant plus que chez Suzanne, toutes les délicatesses du goût esthétique le plus raffiné semblaient s’unir à ce charme exquis d’aspect et d’attitude ? Elle qui n’aurait pas su distinguer un Rembrandt d’un Pérugin, ou un Ribeira d’un Watteau, tant son ignorance était absolue ; elle avait une façon d’écouter ce que lui disait René, et un art