Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/270

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dont elle s’enveloppait ! Hélas ! Il suffit d’avoir des torts profonds envers une femme pour trouver en soi contre elle une inépuisable source de cette injustice-là. Rosalie commettait le crime inconscient de doubler de remords le sentiment que René portait à sa nouvelle amie. Elle représentait ce passé du cœur à qui nous ne pardonnons pas de se dresser comme un obstacle entre nous et notre avenir. Si perfides que soient en amour la plupart des femmes, leur infamie ne punira jamais assez les secrets égoïsmes de la plupart des hommes. Si René avait eu le triste courage de son camarade Claude Larcher, celui de se regarder en face et sans illusion, il aurait dû s’avouer que la cause vraie de sa mauvaise humeur contre Rosalie résidait surtout dans le fait que, lui, l’avait trompée. Mais c’était un poète, et qui excellait à jeter des voiles brillants sur les vilaines portions de son âme. Il se contraignit de penser à Suzanne, à ce noble amour qui avait grandi et fleuri en lui ; et, pour la première fois, il prit la résolution ferme de rompre définitivement avec la jeune fille, en se disant : « Je serai digne d'Elle, » — et cette Elle, c’était la femme, perverse et menteuse, qui avait sur la douce, la simple, la sincère enfant, cette supériorité d’un merveilleux décor, d’une rare science de la toilette, d’une incomparable singerie sentimentale,