Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/298

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si cruel ! … Ah ! Vous me croyez ! … » fit-il en voyant que les traits de madame Moraines n’exprimaient plus le même effroi. « Voulez-vous être bonne ? … » continua-t-il, avec ce rien d’enfantillage qui plaît tant aux femmes, et qui leur fait dire à toutes, depuis les grandes dames jusqu’aux filles, qu’un homme est mignon, « asseyez-vous là, sur ce fauteuil où je me suis tant assis pour travailler, et puis soyez bonne encore, n’ayez pas l’air d’être en visite… » Il s’était rapproché d’elle pour la forcer de s’asseoir, et il lui enlevait son manchon ; il lui dégrafait son manteau. Elle se laissait faire avec un sourire triste, comme de quelqu’un qui cède. C’était l’agonie de la madone que ce sourire, le dernier acte dans cette comédie de l’Idéal qu’elle avait jouée. Il lui retira son chapeau aussi, une espèce de toque assortie à son manteau. Il s’était agenouillé devant elle, et il la contemplait avec cette idolâtrie qu’une femme sera toujours sûre de provoquer chez son amant, si elle lui donne une de ces preuves de tendresse qui flattent à la fois chez l’homme la tendresse et la fatuité, les passions hautes du cœur et les passions basses. Le poète se disait : « Faut-il qu’elle m’aime, pour être venue chez moi, elle que je sais si pure, si religieuse, si attachée à ses devoirs ? » Tous les mensonges qu’elle lui avait servis soigneusement lui