Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/307

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avoir trouvé lui-même cette dernière idée, comme les précédentes d’ailleurs. Il se mettrait à la recherche dès le lendemain, et il lui écrirait, poste restante, sous de certaines initiales, à un certain bureau. Ce surcroît d’inutiles précautions attestait à René dans quelle servitude vivait son pauvre ange, — si l’on peut appeler cela vivre ! « Pauvre ange, » lui avait-il dit en effet, comme elle étouffait une plainte sur le despotisme de son mari, en se comparant elle-même à une bête traquée, « que tu dois avoir souffert ! … » Et elle avait levé derechef ses prunelles vers le plafond en ne montrant plus que le blanc de ses yeux, par un de ces mouvements si bien joués que, des années après, l’homme qui a été attendri par cette pantomime, se demande encore : « N’était-elle pas sincère ? … »

Il n’était pas besoin de cette perfection de comédie pour que René accédât avec bonheur au plan proposé par la savante élève de Desforges. En principe, et simplement parce qu’il aimait, il eût accueilli n’importe quel projet, avec béatitude et dévotion. Mais le programme esquissé par Suzanne correspondait en outre à toutes les portions artificielles de son être. Le caractère clandestin de cette intrigue enchantait le lecteur de romans qui se délectait d’avance à l’idée d’un pareil mystère à porter dans la vie. La