Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/35

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dit au nouveau venu, avant qu’il eût échangé les premiers saluts avec les assistants et pris place lui-même dans le cercle. Et c’était vrai que René présentait en ce moment un exemplaire accompli de cette sorte de créature si rare à Paris : un beau jeune homme. À vingt-cinq ans, l’auteur du Sigisbée offrait encore aux regards ce front sans rides, ces joues fraîches, cette bouche pure et ces yeux clairs qui témoignent d’une âme entière et d’un tempérament inattaqué. Il ressemblait beaucoup au médaillon, trop peu connu, que le sculpteur David a exécuté d’après Alfred de Musset adolescent. Mais la chevelure épaisse de René, sa barbe blonde et déjà abondante, ses épaules carrées, corrigeaient, par un air de robustesse et de santé, ce que le masque du poète des Nuits garde d’un peu efféminé, de presque trop frêle. Les yeux surtout, d’un bleu d’ordinaire très sombre, traduisaient en ce moment un bonheur naïf et sans mélange, et l’exclamation d’Émilie était justifiée par une grâce native qui se révélait même sous le frac de soirée et dans cette tenue inusitée. La prévoyance de la tendre sœur était allée jusqu’à songer aux petits boutons d’or du plastron et des manchettes, qu’elle avait achetés, sur ses économies, chez un bijoutier de la rue de la Paix, après avoir demandé mystérieusement conseil à Claude. C’était