Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/363

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moustache forte, au teint chaudement ambré, était sans doute le mari. L’autre assis… Pourquoi le hasard, — ce ne pouvait être que le hasard, — avait-il amené dans cette loge, et ce soir-là précisément, l’homme à propos duquel l’abominable Colette avait bavé sur Suzanne ? Oui, c’était bien Desforges qui se carrait sur la chaise placée derrière madame Moraines. Le poète n’hésita pas une minute à reconnaître le profil énergique du baron, ses yeux bruns si clairs dans son teint presque enflammé, son front encadré de cheveux presque blancs, sa moustache blonde. Mais pourquoi, de voir ce vieux beau parler familièrement à Suzanne, à demi retournée et qui s’éventait, tandis que Moraines lorgnait les loges avec une jumelle, fit-il du mal à René, tant de mal qu’il se retira brusquement du couloir ? Pour la première fois, depuis qu’il avait eu le bonheur d’entrevoir la jeune femme, à la porte du salon de l’hôtel Komof, blonde et mince dans sa robe rouge, le soupçon venait de pénétrer en lui.

Quel soupçon ? S’il avait dû l’exprimer avec des mots, il n’aurait pas pu. Et cependant ? … Lorsque Suzanne lui avait parlé, le matin même, de sa soirée au Gymnase, elle lui avait dit : « J’y vais avec mon mari, en tête-à-tête… » Quel motif l’avait poussée à fausser ainsi la