Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/368

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nouvelles de son travail. Elle lut, avec sa curiosité naturelle de femme, l’adresse tracée sur l’enveloppe et elle demanda :

— « Tiens, Claude est à Venise ? Tu as donc eu de ses nouvelles ! »

— « Ne prononce plus jamais ce nom devant moi, » répondit René qui lacéra la lettre avec une espèce de rage froide.

— « Vous êtes brouillés ? » interrogea madame Fresneau qui gardait à Larcher un culte reconnaissant.

— « Pour toujours, » répliqua René, « ne me demande pas pourquoi… C’est le plus perfide des amis. »

Émilie n’insista plus. Elle ne s’était pas trompée à l’accent de son frère. Il souffrait, et sa rancune contre Larcher était profonde ; mais, pour qu’il se tût sur les causes de cette rancune, auprès de sa sœur, il fallait qu’il s’agît entre les deux amis de toute autre chose que de discussions littéraires. Par une de ces intuitions comme la tendresse passionnée en trouve toujours à son service, Émilie devina que les deux écrivains étaient brouillés par la faute de cette femme dont René ne prononçait plus jamais le nom devant elle, de cette madame Moraines qu’elle commençait de haïr à présent, pour le même motif qu’elle l’avait d’abord tant aimée. Elle voyait, depuis