Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/379

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la Compagnie du Nord, dont Desforges était administrateur, avait racheté une ligne d’intérêt local, réputée perdue. Paul avait pu, prévenu à temps, réaliser, sur la hausse subite des actions de cette ligne, un bénéfice de trente mille francs dont une partie allait payer les précieuses dentelles. Cette petite opération financière avait même produit, par ricochet, une scène assez singulière entre la jeune femme et René. Elle l’avait interrogé, à l’un de leurs rendez-vous, sur la somme qu’avait rapportée le Sigisbée et elle avait ajouté :

— « Où as-tu placé tout cet argent ? »

— « Je ne sais pas, » avait dit René en riant, « ma sœur m’a acheté des obligations avec les premiers mille francs, et puis j’ai gardé le reste dans mon tiroir. »

— « Veux-tu me laisser te parler, moi aussi, comme une sœur ? » avait-elle répondu. « Nous avons un ami qui est administrateur du Nord et qui nous a donné un renseignement précieux.— Me promets-tu le secret ? … » Et elle lui avait expliqué toute la combinaison du rachat d’actions. « Donne un ordre dès demain, » avait-elle conclu, « tu gagneras ce que tu voudras… »

— « Tais-toi ! » avait repris le poète en lui fermant la bouche avec sa main, « je sais que tu me parles ainsi par tendresse mais je ne peux