Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/385

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pas dans mon intimité. Tout te blessera… Tu ne le connais pas, ce monde où je suis obligée de vivre, et combien tu es peu fait pour lui. Et puis, tu me tiendras responsable de tes désillusions. Renonce à cette fatale idée, mon amour, renonces-y, je t’en conjure. »

— « Qu’avez-vous donc à cacher dans votre vie que vous ne voulez pas que je voie ? » interrogea le jeune homme, qui la regarda de nouveau fixement. Il ne se rendait pas compte que Suzanne, en lui parlant, n’avait qu’un but : lui faire dire la raison de cet inattendu désir de bouleverser leurs relations, — et ce devait être la même raison qui l’avait rendu triste l’autre jour, la même qui l’avait conduit chez madame Komof si soudainement. Elle ne se méprit point au sens de l’interrogation de René, et elle lui répondit, avec la voix brisée d’une victime qu’une injustice écrase :

— « Comment, René, c’est toi qui me parles ainsi ? … Mais non. Quelqu’un t’a empoisonné le cœur… Ce n’est pas de toi que viennent de semblables idées… Mais viens chez moi, mon ami, viens-y tant que tu voudras… Quelque chose à te cacher de ma vie, moi qui aimerais mieux mourir que de te faire un mensonge ! … »

— « Mais alors pourquoi m’as-tu menti l’autre jour ? » s’écria René. Vaincu par le désespoir