Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/387

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— « Pardon ! Pardon ! » s’écria le jeune homme que le naturel parfait de sa maîtresse remplissait d’une irrésistible évidence. « C’est vrai ! Quelqu’un m’a empoisonné le cœur, cette Colette… Que tu avais raison de te défier de Claude ! »

— « Je ne me suis pas laissé faire la cour par lui, » dit Suzanne, « les hommes ne pardonnent pas cela. »

— « Le misérable ! » reprit le poète avec violence, et comme pour se débarrasser de ses angoisses en les disant : « Il a su que je t’aimais. Comment ? … Parce que j’étais gauche, embarrassé, la seule fois où je lui ai parlé de toi… Il me connaît si bien ! … Il a tout supposé et tout dit à sa maîtresse, et d’autres infamies… Mais non, je ne peux pas te les répéter. »

— « Répète, mon ami, répète, » insista Suzanne. Elle avait sur son visage en ce moment le fier et résigné sourire des innocents qui marchent à la mort ; elle continua : « On t’a dit que j’avais eu des amants avant toi ? »

— « Si ce n’était que cela, » fit René.

— « Quoi, alors, mon Dieu ? » reprit-elle. « Que m’importe d’ailleurs ce que l’on t’a dit, mais que toi, mon René, tu aies pu le croire ! … Allons, confesse-toi, tout de même, pour ne rien garder sur le cœur. J’ai au moins le droit d’exiger cela. »