Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/425

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Moraines avait nommé René Vincy à Suzanne. Tout de suite, à la physionomie du visiteur, il avait flairé un mystère. Quand Suzanne avait passé dans l’arrière-salon, il s’était placé de manière à suivre l’entretien du coin de l’œil. Sans entendre ce que disait le poète, il avait deviné à l’expression de ses yeux, aux plis de son front, au geste de sa main, qu’il faisait une scène à Suzanne. La fausse indisposition de cette dernière ne l’avait pas dupé un quart de minute. Il était de ceux qui ne croient aux migraines des femmes que sous bénéfice d’inventaire. Le tremblement de la main de sa maîtresse sur son bras, en descendant l’escalier, avait achevé de le convaincre ; et, maintenant, en traversant la place de l’Opéra, au lieu de s’extasier comme d’ordinaire sur la vaste perspective de l’avenue éclairée depuis peu à l’électricité ou sur la façade du théâtre qu’il déclarait préférer à toutes les Notre-Dame, il se formulait à lui-même les vérités les plus mortifiantes.

— « J’ai été mis dedans, » se disait-il, « à mon âge ! Voilà qui est un peu fort… et pour qui ? » Toutes les circonstances se combinaient pour lui rendre cette humiliation plus cruelle : la perfection de ruse avec laquelle Suzanne l’avait trompé, sans qu’il pût concevoir un soupçon, un seul ; — la soudaineté foudroyante de la découverte ; —