Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/431

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se piquait d’être un homme d’esprit et de ne pas trop se duper lui-même, il s’interrompit dans cet accès : « Je vais lui en vouloir d’être jaloux de moi, maintenant. Ce serait un comble… Pensons plutôt à ce qu’il peut faire ? Du chantage ? Non. C’est trop jeune encore… Un article dans quelque journal ? Un poète à prétentions sentimentales ! … Ce ne doit pas être son genre… S’il pouvait se brouiller avec elle, par indignation ? … Ce serait trop beau ! Un pauvre diable, à cet âge-là, qui a de l’argent comme un crapaud des plumes, et sous la main une maîtresse jolie, amoureuse, avec tous les raffinements de l’élégance autour d’elle, et gratis, il y renoncerait ! … Allons donc… Mais s’il lui demande de rompre avec moi et qu’elle soit assez folle de lui pour céder ? … » Il eut la vision, immédiate et précise, des dérangements que cette rupture amènerait dans sa vie : « D’abord plus de Suzanne, et où en trouverai-je une autre, si charmante, si spirituelle, qui ait cette allure, et mes habitudes ? … Et puis, que d’emplois de soirée à organiser, sans compter que je n’ai pas à Paris de meilleur ami que cet excellent Paul ! … » Il eut besoin, pour se rassurer contre ces tristes éventualités, de se rappeler les liens d’intérêt qui le rendaient indispensable au ménage Moraines. « Non, » conclut-il, au moment même où il arrivait devant la porte de son hôtel du Cours-la-Reine, « elle ne