Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/433

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bien dissipé qu’il se rappela les événements de la veille avec un sourire.

— « Je suis sûr qu'il n’en a pas fait autant… » se dit-il, en songeant aux heures d’insomnie que René avait dû traverser, « ni Suzanne… » elle était si bouleversée la veille, « ni Moraines » . Une indisposition de sa femme mettait ce brave garçon aux cent coups. « Quel joli titre de comédie : Le plus heureux des quatre ! …— Je le placerai, ce mot-là… » Sa plaisanterie le divertit lui-même, et quand le docteur Noirot lui eut répété, au cours de son massage : « Le facies de monsieur le baron est excellent ce matin, et quels muscles ! … C’est souple, c’est robuste, c’est ferme, des muscles de trente ans… » l’impression du bien-être acheva d’abolir en lui presque toute amertume. Il n’eut qu’une seule idée : comment empêcher que la scène de la veille changeât quoi que ce fût à une existence si confortable, si bien adaptée à sa chère personne ? … Il y pensait en buvant son chocolat, au sortir du massage : une espèce de mousse légère et parfumée que son valet de chambre battait avec un tour de main étudié chez un maître. Il y pensait, en galopant au Bois par le plus limpide ciel de printemps. Il y pensait, assis à la table du déjeuner, vers midi et demi, en face de sa vieille parente qui dirigeait toute une partie de sa maison : la lingerie, l’argenterie, les comptes