Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/46

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pour donner aux nerfs de l’acariâtre bourgeoise le temps de se calmer. Il n’eut pas à soutenir ce rôle bien longtemps. Un nouveau coup de sonnette retentit…

— « C’est papa, il est dix heures moins un quart ! » s’écria Rosalie. Elle aussi avait souffert de l’aigreur de sa mère vis-à-vis de Claude et de René. Et l’arrivée de son père qui devait donner le signal du départ lui apparaissait comme une délivrance, — elle pour qui s’en aller de la maison des Fresneau était d’ordinaire un crève-cœur. Mais elle connaissait sa mère, et elle sentait, d’instinct plus que de raisonnement, combien l’amertume de ses remarques devait paraître mesquine et déplaisante à René. Il n’avait que trop de motifs pour ne plus se complaire dans leur société ! Elle se leva donc en même temps que son père entrait dans la salle. C’était un homme long et sec, avec un de ces visages comme évidés qui rappellent nécessairement le type immortel de don Quichotte : un nez en bec d’aigle, des tempes creusées, une bouche un peu tirée, et, dominant le tout, un de ces fronts fuyants, chimériques, dont il semble que les manies et les idées fausses en ont raviné toutes les rides et soulevé toutes les bosses. Celui-ci joignait à son innocente passion d’aquarelliste en chambre, la ridicule infirmité de ramener