Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/468

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déménagement lamentable de ce qui avait été son bonheur, cette cruelle gaieté tomba pour laisser la place à la mélancolie la plus navrée. Il reconnaissait chaque détour du chemin qu’il avait accompli tant de fois dans l’extase du désir, qu’il n’accomplirait plus jamais. Le ciel pesait gris et bas, sur la ville. C’était, depuis la veille, une de ces reprises inattendues de l’hiver comme il s’en produit souvent à Paris vers le milieu du printemps, et qui donnent des frissons de froid à la jeune verdure. Quand le fiacre traversa la Seine qui coulait, si morne, si verte, le malheureux la regarda et il songea :

— « Il est pourtant facile d’en finir… »

Il chercha dans sa poche le billet de Suzanne, après ce mouvement de désespoir, comme pour se convaincre lui-même de la réalité de son malheur. Il prit aussi le mouchoir et le respira— longtemps ; — il mania les gants, et il y retrouva la forme des doigts qu’il avait tant aimés. Il sentit qu’il était allé, dans sa résistance à la tentation, jusqu’aux dernières limites de sa force, et, quand il fut tout seul dans sa chambre, après cette nouvelle crise aiguë de sa peine, il dit tout haut :

— « Je ne peux plus… »

Tranquillement, presque automatiquement, il ouvrit un tiroir de son bureau, et il y prit, enveloppé