Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/471

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de poète et de bourgeois, s’était dissipé à ses yeux pour lui laisser une vision presque juste des effrayantes prodigalités que comporte une opulente existence à Paris. À l’heure présente, et tandis que son amour, qui voulait vivre, s’appliquait à justifier Suzanne, à la comprendre du moins, à découvrir en elle de quoi ne pas la mépriser entièrement, il entrevoyait, grâce à cette connaissance plus vraie du monde, le drame intime qui s’était joué dans sa maîtresse… Claude le lui avait dit en propres termes : « Il y a sept ans, les Moraines étaient ruinés… » Ruinés ! Ces trois syllabes se traduisaient maintenant pour le jeune homme par l’exacte image de ce qu’elles comportent de renoncements et d’abaissements. Suzanne avait grandi dans le luxe et pour le luxe. C’était son atmosphère, c’était sa vie. Son mari, ce Marneffe en habit noir, — le poète continuait à juger ainsi le pauvre Paul, — avait dû, le premier, la pousser dans la voie funeste. Desforges s’était présenté. Elle avait cédé. Elle n’aimait pas… Et quand elle avait aimé, pouvait-elle briser sa chaîne ? … Oui, elle le pouvait, en lui proposant, à lui, René, de tout quitter, tous les deux, pour vivre ensemble, à jamais ! …

— « Tout quitter ? … Tous les deux ? … Pour vivre ensemble ? … » Il se surprit à prononcer ces