Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/473

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lui, à ce gouffre noir de la mort vers lequel il se sentait attiré ? Pourquoi ne lui apporterait-il pas cette occasion unique de réparer les hideuses misères de sa destinée ? … Mais elle, que répondrait-elle ? … « Je saurai enfin si elle m’aime, » reprenait René.— « Oui, si elle m’aime, avec quelle ardeur elle saisira ce moyen d’échapper au bagne de luxe où elle est enchaînée ! Et si elle dit non ? … » Un frémissement d’épouvante le secoua tout entier à cette pensée… « Il sera temps d’agir alors, » conclut-il. La tempête déchaînée par la subite invasion de ce projet dura près de trois heures. Le jeune homme s’y abandonnait sans comprendre que son parti était pris d’avance, et que ces allées et venues de ses idées ne faisaient que déguiser à ses propres yeux le sentiment qui dominait en lui par-dessus tout : l’appétit, le besoin furieux de ravoir sa maîtresse. Quand ce plan d’une fuite en commun eût été plus insensé, plus impraticable, plus contraire à toute espérance de succès, il s’y serait livré comme au plus raisonnable, au plus facile, au plus assuré, parce que c’était en effet le seul qui conciliât l’ardeur irrésistible de son amour et les exigences de dignité sur lesquelles son honneur encore vierge ne transigerait du moins jamais.

— « À l’action… » se dit-il enfin. Il s’assit à sa